MARC ALENZI Rubrique

L’Arménie coincée entre trois héritiers d’empire : Russie, Turquie et Iran


La récente réunion de Téhéran (le 19 juillet) et les déclarations des dirigeants qui y participaient, les présidents Poutine, Erdoghan et Raissi, ont été attentivement suivies par les médias arméniens. Une certaine déclaration a suscité l’intérêt de ces derniers qui ont mis en exergue avec enthousiasme, souvent béatement, les propos agréables à l’oreille du public arménien. Ils ont rarement analysé sérieusement les références historiques et les traits caractéristiques de la politique étrangère de l’Iran.
Dans ce registre, la déclaration de l’ayatollah Ali Khameney, guide suprême de la République islamique d’Iran, a particulièrement été ressassée. Qu’a-t-il dit, entre autres, à ses hôtes turc et russe ? En susbstance, une éventulle modification de la frontière irano-arménienne de Maghri est inacceptable pour l’Iran.
>>> Echo des enthousiastes - Les médias proches de l’opposition ont longtemps reproché à Nikol Pashinyan son manque de lucidité par rapport au facteur iranien. Abraham Gasparyan, enseignant à l’université d’Erevan, ne manque pas une occasion de stigmatiser l’inconsistance de l’attitude d’Erevan. Vardan Voskanyan, l’iranologue qui semble prôner la constitution d’un axe Moscou-Erevan-Téhéran, apprécie hautement la diplomatie iranienne dans la défense de ses intérêts nationaux. Il estime, dans une interprétation alambiquée, sur TV 24News, que le guide suprême, tout en déclarant être satisfait du retour du Haut-Karabagh au sein de l’Azerbaidjan (propos de l’ayatollah Khameney ...), « ... a voulu dire que les Turco-Azéris devraient se contenter de ce qu’ils avaient obtenu à l’issue de la guerre (des 44 jours) ». Armen Chibukhjyan et Karen Sargsyan, analystes résidants aux Etats-Unis, lors d’une discussion, parlent d’une « gifle de l’Ayatollah à Erdoghan », dès lors que l’Iran annonce le caractère intangible de cette frontière historique (Iran/Syunik).
>>> Bémol de l’outsider - Seul Aram Sargsyan, chef du parti « La République », attire, dans une interview à Noyan Tapan, l’attention sur l’attitude générale de Téhéran, jugée peu crédible, qui n’hésite pas à « tourner casaque » facilement.
En tout état de cause, c’est une bonne chose pour l’Arménie qu’un de ses voisins adopte une telle position. Il convient cependant d’éviter de la considérer pour un acquis définitif.
>>> Positionnements iraniens - Il est vrai que les autorités de Téhéran se méfient d’une jonction terrestre des deux Etats turcophones à la frontière nord-ouest coupant le pays de l’Arménie. Celle-ci constitue un accès vers le nord (Russie, Géorgie, mer Noire, ...). Le corridor arménien permet à l’Iran de ne pas être à la merci de cette « muraille turque » qui serait dressée au nord de l’Iran.
C’est d’ailleurs pour cette raison que les Iraniens trainent les pieds pour construire la voie ferrée d’Astara (frontière azéro-iranienne) à Rasht (jonction avec le réseau ferré iranien), alors qu’ils avaient donné leur accord en 2005. Il semble qu’à Téhéran, Vladimir Poutine aurait proposé de prendre en charge la construction de 146 km (selon TV Shant). Les partisans d’une intégration de l’Arménie au sein d’un Etat unitaire russe ou d’une Arménie à l’image du Tatarstan (propos du milliardaire Rouben Vardanyan) comprendront peut-être qu’un tel projet exclura l’Arménie en l’isolant géographiquement encore plus.
Cepndant, n’oublions pas que Kemal Atatürk, après avoir obtenu de Lénine la région de Surmalu (rive droite de l’Araxe où est situé le mont Ararat), avait reçu de Reza Shah d’Iran en 1934, la petite bande de terre permettant à la Turquie d’accéder au Nakhijevan. Seule la zone de Meghri, conservée par les Arméniens grâce à Njdeh, obstrue le continuum turc du Bosphore à la muraille de Chine.
Quant au format 3+3 (ou format Astana) qui a caractérisé la réunion de Téhéran, il ne faut pas oublier que son initiateur c’est bien l’Iran. En effet, en pleine guerre des 44 jours (septembre-novembre 2020), le vice-minisre des Affaires étrangères de la République islamique s’est précipité dans la sous-région, puis à Moscou, pour proposer, une gestion, en quelque sorte, de la sous-région sous forme tripartite exclutant l’Occident... Cette proposition semble convenir à la nouvelle politique d’Ankara et à l’attitude anti-occidentale du Kremlin depuis 2008. En revanche, des experts tels que Stepan Grigoryan ou Areg Kochinyan considèrent, à juste titre, que ce format est néfase pour les intérets nationaux d’Arménie, car il enferme Erevan dans le jeu des trois puissances régionales, réduisant à néant la possibilité de diversification des rapports et donc la possibilité de rapports équilibrés.
>>> Epée de Damoclès russe : Face au refus iranien d’un changement de la fronière, l’ « allié » russe dispose d’une marge de manœuvre. Il peut maintenir les apparences, en ce sens que la zone de Meghri restera de jure territoire arménien. Sergey Lavrov, lors de sa visite en Arménie, l’a réitéré, mais elle sera sous contrôle effectif des troupes russes, comme le stipule le point 9 de la déclaration de cessez le feu du 9 novembre 2020. La « surveillance » russe ne sera pas sans impact sur la circulation des biens et des personnes. La Russie n’avait-elle pas interdit à Robert Kocharyan de construire un gazoduc dont la capacité permettrait d’exporter à travers l’Arménie du gaz iranien vers d’autres pays ?

Marc Alenzi

par La rédaction le dimanche 24 juillet 2022
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