LIVRES-HISTOIRE Rubrique

Interview (2e partie) de l’historien Onnik Jamgocyan, auteur de l’ouvrage « L’Eveil de l’Arménie » préfacé par le Professeur Gérard Dédéyan


Le livre « L’Eveil de l’Arménie » d’Onnik Jamgocyan vient de paraître aux Editions du Bosphore", l’occasion d’interviewer son auteur, un historien spécialiste de l’histoire des Arméniens de l’Empire ottoman qui évoque également dans son livre l’historique de la population arménienne de Chouchi, de la présence arménienne à Constantinople, Paris, Venise, l’édition des premiers journaux arméniens et le mouvement de renaissance de la nation arménienne au milieu du 19e siècle. (Interview 2e partie).
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Krikor Amirzayan : En évoquant le prince de Korikosz et Napoléon III, vous avez signalé l’un des plus hauts dignitaires de l’Eglise arménienne, savoir « l’Archevêque – poète », auteur de Hay abrink yeghpark que nous avons appris et récité dans notre enfance. Quel a été exactement le rôle de Narbey dans notre Histoire ?
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Onnik Jamgocyan : Khorène Narbey et son frère Ambroise Calfa, princes de Lusignan, deux Mekhitaristes, ont quitté leur ordre en compagnie de Gabriel Aïvazovski et de Sarkis Théodorian, suite aux persécutions de Mgr. Hassoun. Ce dernier, patriarche arménien catholique, fut un indicateur du gouvernement ottoman. Cette accusation, lancée par Yervant Aghaton, est confirmée par les Archives du Vatican. Aïvazovski, Narbey, Ambroise Calfa et Sarkis Théodorian ont refusé de signer la profession de foi du 30 juin 1853 par laquelle l’ordre des Mekhitaristes accusait l’Église d’Arménie d’être schismatique et « éloignée du Christ ». Cette profession de foi, que les Mekhitaristes signèrent contraints et forcés, servit de référence au Pape Pie IX pour accuser l’Eglise d’Arménie d’être schismatique et « loin du Christ » dans l’Encyclique Neminem Vestrum de février 1854. Ainsi faisant, les quatre Mekhitaristes restèrent fidèles à la vérité historique, renoncèrent à la foi romaine et adhérèrent à l’Eglise d‘Arménie

Venu à l’Eglise d’Arménie, Khorène Narbey entretint un contact épistolaire avec le prince de Korikosz, et porte un autre projet de royaume arménien après la mort de ce dernier. Napoléon III détrôné, Narbey sait que seule la Russie peut les aider. Il va à Saint-Pétersbourg, embrasse la main d’Alexandre II et demande sa protection pour son peuple. L’article 16 du traité de San Stéfano, favorable aux Arméniens, est son œuvre. C’est à sa demande que les plénipotentiaires russes imposent à Bismarck de mentionner le devenir des Arméniens à Berlin, peu importe si de façon insuffisante. L’époque où il espère le trône d’Arménie quand Louis de Lusignan, son oncle, croit monter sur le trône de Chypre.

Suspecté de trahison, impliqué par la découverte de sa correspondance avec le prince de Korikosz, et persécuté par le Patriarche Achekian, un proche d’Abdul-Hamid II, la mort de Narbey en 1892, laisse penser à un empoisonnement.
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Photographie exceptionnelle de 1878
Le patriarche Nerses Varjabédian
Meguerditch Khrimian
Khorène Narbey

Krikor Amirzayan : Vous parlez dans votre livre du temps des Amiras et du temps des Maîtres. Quel est le message porté par votre livre ?

Onnik Jamgocyan  : Il fut une époque où les hommes d’argent savaient leurs limites, et s’ils dirigeaient la vie des Arméniens, ils le faisaient en suivant les conseils des maîtres, des hommes connus pour leur culture. Ils savaient que leur argent ne pourrait pas sauver le peuple sans les conseils des maîtres, sans un projet de culture, une vision d’éducation de la jeunesse. En 1815, Samuel Moorat laisse l’équivalent de 2 100 000 francs de l’époque aux Mekhitaristes, à charge pour eux d’éduquer gratuitement les enfants pauvres et orphelins de son peuple, peu importe leur religion.

Malgré ce qu’on lit un peu partout, ce montant n’était pas un don fait aux Mekhitaristes, mais un capital mis à leur disposition pour éduquer les enfants arméniens dans une ville d‘Europe. Ce capital était énorme pour l’époque. Mes travaux – comme le lecteur le verra – prouvent que le testament de Samuel Moorat dépassait largement les 600 millions d’euros de nos jours. Une réelle fortune donnée pour éduquer la jeunesse arménienne et non pour remplir les caisses du Vatican. Les Arméniens doivent s’interroger sur le sort réservé à ce legs.
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Samuel Moorat, arménien de Tokat, mécène
Autre exemple, Karabet Amira Balian, Architecte Impérial en Chef, protège et prend conseil de Déroyents, « le maître des maîtres ». Habitant Uskudar, Déroyénts de Brousse, auteur de plus de 150 livres ou traductions, a été le maître de Khrimian, de Krikor Odian, le protecteur de Narbey, le fondateur du journal Hayasdan. JPEG - 1.4 Mo
Pour ceux qui peineraient à comprendre l’importance de ce fait, au pays d’Abdul-Médjid, à Constantinople, Déroyents publie en 1846 un journal appelé Arménie et veille à sa publication pendant six années. On doit à Déroyénts une traduction du Contrat Social de Jean Jacques Rousseau, des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence de Montesquieu, Les Pensées de Pascal, Le Nouveau Galathée de l’Italien Melchiorre Gioia, et Don Quichotte de Cervantès. On lui doit également une Histoire de l’Eglise arménienne, en trente volumes, non publiée à ce jour et conservée au Patriarcat arménien de Jérusalem. Gardien des traditions, conservateur qui importe le premier la grande littérature française à Constantinople, Déroyents est « mis au placard » et condamné à l’oubli par nos savantes plumes. Mon livre réhabilite l’homme dont les funérailles réunirent des milliers de nos ancêtres, et ont les oraisons funèbres furent prononcées par Khrimian, Khorène Narbey et le philosophe poète Yéghia Démirdjibachian.
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Hovhannes Tchamourdjian, dit Déroyents
« Le maître des maîtres du 19è siècle arménien »
A suivre...

- « L’Eveil de l’Arménie » d’Onnik Jamgocyan aux Editions du Bosphore, livre préfacé par le professeur Gérard Dédéyan (332 pages, 30 euros + 7 euros frais d’envoi). Tél. 06 45 92 32 04 mail : [email protected].

par Krikor Amirzayan le jeudi 2 décembre 2021
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