GOURGEN AGHABABYAN Rubrique

Pour une vie religieuse et communautaire enrichie, par l’Archimandrite Gourgen Aghababyan


Ce n’est pas un mystère, en diaspora, et plus particulièrement en France, l’Église mérite d’être réorganisée. Pour l’heure, la jeune structure diocésaine française et ses institutions (L’Assemblée des Délégués et le Conseil diocésain) sont empêtrés dans divers problèmes et ne parviennent pas à mobiliser leurs énergies pour adopter et réaliser des programmes pourtant essentiels pour notre vie ecclésiale. Afin de ne pas répéter les erreurs dévastatrices, voire mortifères du passé, il faut aujourd’hui non seulement prendre soin de nos écoles qui garantissent la pérennité de notre communauté, mais aussi travailler à les renforcer car, sous les coups des influences extérieures, les trois piliers de notre vie nationale, l’Église, la langue et la foi sont aujourd’hui sérieusement ébranlés du fait de notre indifférence et de notre manque de vigilance face à l’influence des idéologies et des cultures extérieures. Ceci n’est pas une simple remarque, mais un véritable cri d’alarme pour nous tous. Mais, avant de prendre toute décision ou d’entreprendre toute modification des statuts de notre diocèse, les problématiques doivent être minutieusement examinées afin qu’une décision appropriée survienne après un examen approfondi.

Des statuts garants du bon fonctionnement de nos institutions ecclésiales

La commission de rédaction des statuts établie dès la fondation de notre diocèse a voulu rendre ses statuts plus pratiques et plus efficaces et elle est parvenue durant un certain temps à concilier les règles canoniques de la Sainte Église apostolique arménienne et les lois de la République française. Il faut naturellement que ces deux paramètres continuent d’être maintenus car l’un ne pourrait évidemment aller sans l’autre.

Toutefois, aussi louable que soit le travail des membres de cette commission, on ne peut pas dire que ces statuts soient parfaits. Or, il importe que les dispositions des statuts couchées sur le papier ne rencontrent pas d’obstacles lors de leur mise en œuvre. Si, par exemple, le doublement du nombre des candidats aux élections des conseils paroissiaux afin de garantir une concurrence équitable ne représente pas un problème pour les grandes communautés, cette disposition constitue en revanche un véritable casse-tête pour d’autres plus petites comme celles de Charvieu et de Chaville où peu de personnes participent aux assemblées générales paroissiales. De ce fait, moins d’une personne se présente pour chaque siège au conseil paroissial alors que les statuts en exigent au moins deux.

Le texte des statuts constitue un document juridique qui enferme d’une certaine façon notre foi, l’Église toute entière et toutes les actions mises en œuvre par elle dans les limites d’une institution profane que l’on doit sans cesse perfectionner pour servir les intérêts du diocèse, et non l’inverse. Sinon, nous emprisonnons dans une sorte de nasse la Grâce et l’Amour de notre Seigneur Jésus-Christ, en un mot, notre foi.

Un autre exemple. Conformément aux usages, à l’occasion de l’élection du premier Primat, tous les membres du clergé régulier[1] du diocèse âgé d’au moins trente-cinq ans avaient reçu une lettre du Conseil diocésain leur demandant de présenter, ou d’infirmer, par écrit leur candidature, à ce scrutin. Or, les statuts ne précisent pas que, selon l’usage, des courriers doivent être envoyées au clergé célibataire du diocèse pour les informer de la tenue de l’élection et de la possibilité de postuler.

Lors de la dernière élection du Primat en novembre 2014, les autorités diocésaines avaient tout simplement omis d’envoyer de telles lettres, et, sans en informer le clergé régulier, elles avaient alors préparé une liste de trois candidats dans la plus grande opacité. Selon des informations circulant à la veille de l’élection qui devrait se tenir en novembre prochain, elles auraient d’ores et déjà adressé une liste à Sa Sainteté le Catholicos de tous les Arméniens pour solliciter son approbation.

On le voit, en l’absence de règles codifiées, les statuts diocésains peuvent provoquer des disfonctionnements, annihiler ou altérer à la fois la Grâce, la foi et aussi nos rapports. Aujourd’hui, il nous faut des hommes et des femmes croyants et expérimentés pour gérer aux mieux les affaires du diocèse. Il est temps de comprendre que les décisions ne peuvent être prises dans le cadre « d’accommodements de coulisses », au regard d’ambitions personnelles, ou que l’on ne saurait confier la responsabilité de diriger le diocèse à des personnes inexpérimentées ou néophytes.

Au regard des exemples précités, il convient d’apporter un certain nombre de corrections aux statuts pour ainsi éviter aux membres du conseil diocésain de commettre de regrettables erreurs. Ainsi, tout ecclésiastiques célibataire âgés d’au moins 35 ans qui a servi dans, ou à l’extérieur du diocèse, peut présenter sa candidature au Conseil diocésain qui soumet ensuite la liste constituée à l’Assemblée des Délégués du Diocèse (ADD). Après avoir auditionné tous les candidats, l’Assemblée des délégués choisit à l’issue d’un scrutin secret trois candidats. Le Conseil diocésain transmet ensuite cette liste de trois noms à Sa Sainteté le Catholicos pour approbation. Toute décision du Conseil qui irait à l’encontre des intérêts du diocèse peut être contestée et rejetée par l’Assemblée diocésaine. Dans ce cas, l’Assemblée des Délégués du diocèse est habilitée à résoudre la question en recourant à un vote à bulletin secret.

Ces modifications statutaires sont nécessaires pour empêcher toute décision qui mettrait en péril la structure diocésaine tout en réduisant les influences extérieures. L’institution dénommée « Diocèse de France de l’Église apostolique arménienne », incarne l’avenir des Arméniens locaux, leur mémoire et leur histoire. Tout faux pas, toute mauvaise décision, pourrait menacer leur existence et leur avenir. Ceci ne constitue pas une banale remarque, mais une alarme pour nous tous. Avant de prendre une décision, ou lors de modifications d’articles des statuts, les questions soulevées doivent être soigneusement examinées afin qu’une décision juste et équilibrée soit prise après un examen approfondi.

Préservation et promotion de la langue arménienne

Le diocèse représente l’autorité morale et juridique de l’Église qui constitue l’un des trois piliers de la préservation de l’identité arménienne. Il a donc aussi pour obligation de mettre en œuvre toute initiative visant à préserver et à pérenniser cette identité sur l’ensemble du territoire de la République française. A la fois personne juridique et morale, le diocèse doit assumer ses obligations envers les Arméniens d’aujourd’hui et ceux à venir.
La préservation et la promotion de la langue arménienne sont pour le clergé arménien intrinsèquement liées à sa mission d’évangélisation car elles modèlent également la conscience ecclésiale, l’ecclésiologie de notre Église. Aussi, chaque religieux conscient de de l’importance de sa mission doit être attentif à ces questions dans le cadre communautaire, paroissial et éducatif et devenir un acteur vigilant dans tous ces domaines.
Nourris aux sources de notre culture millénaire et ayant surmonté les défis qu’il a dû affronter au long de son histoire, le peuple arménien n’a pas le droit de désespérer, plus encore ici, en diaspora, et plus spécialement en France. Il est aujourd’hui indispensable de créer sous les auspices et avec le soutien direct du Primat et du Conseil diocésain des commissions éducatives et culturelles. Devront être intégrés dans ces commissions, les enseignants des écoles quotidiennes, des intellectuels appartenant aux sphères de l’Éducation, de la Culture et des Sciences, les enseignants des écoles hebdomadaires existantes (Paroisses, Croix bleue, UGAB, MGNIG et autres). Ces commissions auront pour objectif d’élaborer des programmes scolaires et pour rendre plus attractifs et plus compréhensibles les manuels scolaires.
La question de la formation de spécialistes et de pédagogues en Arménien occidental est aussi d’une grande importance. Ce n’est pas une nouveauté, nous savons tous que les spécialistes de l’Arménien occidental sont désormais rares, voire inexistants, jusque dans nos écoles quotidiennes. Pouvons nous résoudre ce problème à l’aide de nos ressources locales ? Assurément oui. Les personnes ressources en la matière sont en nombre en France en région parisienne comme en province. Ces enseignants et chercheurs en langue arménienne originaires de la diaspora ont d’ailleurs souvent enseigné jusqu’à une date récente l’Arménien occidental et l’orthographe classique à leurs collègues d’Arménie dans le cadre de sessions organisées par l’ancien Ministère de la Diaspora. Parmi ces derniers, se trouvent Mme Hilda Kalfayan-Panossian, linguiste et enseignante, auteur d’une méthode d’apprentissage accéléré de l’Arménien occidental, M.Mgrditch Basmadjian, enseignant d’Arménien auprès de l’UGAB-Paris, M. Razmik Panossian, directeur du département des affaires arméniennes de la Fondation Calousd Gulbenkian et Mme Ani Garmirian, chargée des questions éducatives et de la promotion de l’Arménien occidental, Mme Donabédian, directrice du département arménien de l’INALCO (Institut national des Langues et Civilisations orientales), et nombre d’enseignants des diverses écoles quotidiennes et hebdomadaires. Le diocèse a d’autant plus vocation à fédérer le réseau des écoles arméniennes de France que 5 de ces 7 écoles œuvrent directement ou indirectement sous les auspices de paroisses (Alfortville, Issy-Les-Moulineaux, Lyon, Nice et Valence). La présence de ces spécialistes serait très utile aux côtés des responsables du diocèse pour organiser la reconversion de plus d’une vingtaine de pédagogues originaires d’Arménie condamnés à l’inaction ou à des professions très éloignées de leur spécialité. Nous pourrions ainsi assurer l’organisation de cours de perfectionnement pour permettre à ces pédagogues de maitriser l’Arménien occidental et l’orthographe classique de saint Mesrob et mettre leurs compétences aux service de nos structures scolaires.
Cette structure éducative diocèsaine serait également au service de l’ensemble des cours hebdomadaires (affiliés ou pas à l’Église) pour concevoir des programmes éducatifs, publier des manuels ou des logiciels et organiser des sessions annuelles de formation pour leurs enseignants.
Parmi toutes les initiatives à caractère éducatif ou scolaire réalisées ces dernières années, on notera l’organisation à l’initiative de l’Église apostolique arménienne, plus particulièrement de Mgr Vahan Hovhanessian, Primat du diocèse, et de l’association des Jeunes de l’EAA, d’un camps de vacances où les enfants de nos paroisses de France peuvent bénéficier d’un apprentissage de l’Arménien et d’ une catéchèse conforme aux enseignements de notre Église[2]. Il nous faudra là aussi élargir et enrichir cette expérience qui ne concerne pour l’instant qu’une trentaine d’enfants et d’adolescents.

Remettre de l’ordre dans notre vie ecclésiale

Il est aujourd’hui indispensable qu’à l’initiative du diocèse et du Primat soit créé un Conseil Spirituel (ou pastoral) [Հոգեւոր կամ Հովուական խորհուրդ]réunissant nos religieux afin d’étudier et de résoudre toutes les questions d’ordre spirituel et canoniques, pour organiser et coordonner nos relations œcuméniques localement comme au plan national. Pour cela, nous devons impérativement travailler et servir dans l’union et la concorde car chaque faux-pas, chaque décision erronée, pourrait être fatale pour telle ou telle paroisse comme nous l’enseigne la triste affaire de Nice, et plus largement à notre vie ecclésiale.
A la veille d’un nouveau scrutin pour élire le futur Primat, prions afin que le Seigneur nous inspire. Pour que les délégués de l’Assemblée diocésaine prennent la mesure les défis qui se présentent à nous, afin qu’avec prudence et discernement, ils œuvrent pour le bien de notre diocèse et de ses fidèles et la pérennité de notre identité en ne permettant pas que soient répétées nos erreurs d’hier et d’aujourd’hui.

Archimandrite Gourgen Aghababyan

Recteur de la paroisse Saint Grégoire l’Illuminateur
de Chaville (92)

[1] Les hiéromoines [apégha] et archimandrites-docteurs [vartabed] qui ont fait vœu de célibat, par opposition au prêtres mariés [amousnatsial kahana] qui constituent le clergé « séculier » des paroisses. Les premiers vivaient autrefois dans les monastères ou auprès des églises-cathédrales où ils exerçaient leur ministère comme des chanoines ou en tant que prédicateurs[Karozitch]. Après le Génocide, du fait du manque de prêtres, beaucoup d’entre eux ont été amenés à quitter les monastères pour servir les fidèles des paroisses.
[2] En juillet 2021, le camps a eu lieu à Laghet, dans le département des Alpes-Maritimes.

par La rédaction le dimanche 1er août 2021
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