RENÉ DZAGOYAN Rubrique

Les beautés éternelles du Vatican


A la fin du conflit de l’Artsakh, le 2 novembre 2020, sous la plume de son directeur Mgr Pascal Gollnisch, l’œuvre d’Orient manifestait son soutien aux Arméniens. Le 16 décembre, le même prélat organisait une visio-conférence sur les Arméniens, avant de lancer, le 28 janvier 2021 une campagne de dons pour la reconstruction de l’église de Meghri. Enfin, ce 21 mars 2021, il organise une messe « Pour les Arméniens » en l’église Saint-Sulpice à Paris, en rite arménien. De la part d’une organisation qui ne s’est guère distinguée dans le secours aux rescapés le Génocide de 1915 (c’est le moins qu’on puisse dire), ni à leurs successeurs au Moyen-Orient, voilà une compassion assez surprenante. Serait-ce là le signe d’un soutien nouveau et massif du Vatican aux Arméniens et à l’Arménie ? A l’examen, hélas, la réalité n’est peut-être pas aussi compassionnelle qu’il peut le sembler.

Si jusqu’ici l’Arménie (environ 150 000 catholiques) n’a guère suscité l’intérêt de la Curie Romaine, il n’en est pas de même pour l’Azerbaïdjan (400 fidèles recensés) qui a toutes ses faveurs. En effet, les relations d’amitié entre Bakou et Rome remontent à la visite de Jean-Paul II en 2002. Depuis, elles n’ont cessé de s’améliorer, au point qu’en 2009, Bakou a financé la restauration de la cathédrale de Strasbourg, suivie des églises de Saint-Paterne et de Réveillon dans la Sarthe, travaux de petites mains comparés aux pharaoniques chantiers au Vatican, réglés par la Fondation Haydar Alyev, tels que la restauration des catacombes de San Marcellino et de Commodille et d’une soixante autres sites, parallèlement à la rénovation de la Basilique Saint-Pierre de Rome et la digitalisation de manuscrits anciens de la Bibliothèque Apostolique. Montant des largesses vaticanes de Bakou ? « Undisclosed ». Aucun montant n’est communiqué. Transparence….

On comprend mieux pourquoi, en février 2020, Mme Mehriban Alyeva, l’épouse du président, a été décorée par le Pape François de la Grand’Croix de l’Ordre de Pie IX, « en reconnaissance à sa contribution au développement de la culture et des relations avec les institutions du Saint-Siège. » Relations confirmées par avance en septembre 2019 par le n° 3 de la Curie romaine, le cardinal Sandri, préfet de la Congrégation des Eglises Orientales, puis par le Secrétaire d’Etat du Pape, le cardinal Parolin (n° 2), puis par le Pape lui-même (n°1) début 2020, avec, grandes ouvertes, les pages du site de l’agence du Vatican, ACI Stampa, où l’ambassadeur d’Azerbaidjan a longuement expliqué aux catholiques romains que la guerre était due « à la provocation armée de l’Arménie dans la région du Tavouch », saluant au passage la déclaration du pape François du 19 juillet 2020, où le pontife évite soigneusement de désigner le coupable, tout comme dans les déclarations suivantes.

Comme l’a fait le New-York Times, notons que les locataires de Saint-Pierre de Rome, au fil des communiqués, ont tressé des kilomètres de lauriers à la fameuse « tolérance religieuse » de Bakou, sans évoquer d’un seul mot la question des droits de l’Homme ou de l’absence de démocratie. Certes, avec Rome, on est habitué. Tout le monde se souvient des fameux « silences » de Pie XII durant la dictature nazie tout comme de la décoration en 1953, par l’Ordre Suprême du Christ, du « fils bien aimé » de l’Eglise, le dictateur Francisco Franco, sans oublier la visite de Jean-Paul II au général Pinochet au Chili en avril 1987. Mais ces papes avaient leurs raisons : l’Allemagne d’Hitler comptait 27 millions de catholiques à protéger, l’Espagne de Franco 24 millions et le Chili de Pinochet 11 millions. Ça valait bien de longs silences et de petites décorations. Mais l’Azerbaïdjan ?! Avec ses 300 catholiques romains, moins que de paroissiens en la cathédrale Sainte-Croix des Arméniens à Paris le jour des Rameaux. Si ce n’est la présence de croyants, qu’est-ce qui peut donc motiver la connivence du Vatican avec la dictature azérie ? Son argent peut-être ? Pecunia non olet. L’argent n’a pas d’odeur, aurait dit Vespasien, pas même celle des dictatures les plus puantes.

Que la Curie romaine soit attirée par l’arôme des dollars azéris, soit. Jadis, pour construire Saint-Pierre de Rome, l’archevêque de Mayence, sur ordre du Vatican, vendait le pardon des pêchés moyennant une rétrocession de 50% du produit des ventes. Mais les Arméniens n’ont pas de pétrole, ni péchés à se faire pardonner. En quoi donc les Arméniens représentent-ils aujourd’hui un intérêt ? Pour en avoir une idée, il suffit de se tourner vers les institutions religieuses d’obédience catholique, par exemple la Congrégation des Pères Mekhitaristes, (à qui l’œuvre d’Orient apporte gracieusement son précieux secours dans un procès en cours). Pas d’argent, ni de péché, mais des biens immobiliers, par exemple le Collège Arménien de Sèvres et son hectare et demi en bord de Seine, l’Île Saint-Lazare et sa bibliothèque aux 2 700 manuscrits inestimables, le Palais Zenobio à Venise et ses peintures de Tiepolo, ou le monastère de Vienne en Autriche, ou Collège Hazmieh au Liban qu’en 2015, déjà, un émissaire de Rome voulait vendre à l’encan ? Est-ce être mal pensant que de présumer que des représentants de la Sainte Eglise Romaine peuvent nous aimer que pour les seuls biens matériels de ce monde ? C’est Molière qui a répondu pour eux :
L’amour qui nous attache aux beautés éternelles,
N’étouffe pas en nous l’amour des temporelles…
Mais les gens comme nous brûlent d’un feu discret,
Avec qui pour toujours on est sûr du secret.

Tiré de Tartuffe, Acte III, scène 3.

René Dzagoyan

par La rédaction le samedi 20 mars 2021
© armenews.com 2024




 
Thèmes abordés