Patrick Devedjian Rubrique

L’indépendance : une chance méritée Le point de vue de Patrick Devedjian, Député UMP, Président du Conseil Général des Hauts de Seine, paru dans le numéro 177 des Nouvelles d’Arménie Magazine


Cela n’en a peut-être pas l’air pour les peuples heureux mais le 20e anniversaire de l’État Arménien est un événement historique. L’Arménie a bien connu un État au XXe siècle mais il ne dura que deux ans ! Au-delà, il faut remonter au XIVe siècle pour trouver un État arménien, en Cilicie, dont chacun sait que le dernier roi repose en la basilique Saint-Denis. Dans mon enfance, personne n’imaginait voir cela un jour.

C’est un événement exceptionnel que de voir réapparaître l’État d’un peuple antique dont la survie était déjà une sorte de miracle au regard des épreuves subies. En dehors de l’État grec renaissant au XIXe siècle, il n’y a que le peuple juif et le peuple arménien, tous deux survivants d’un génocide et de nombreuses persécutions, pour avoir obtenu cette chance, pourtant méritée. Il aura fallu pour cela la persistance d’une identité maintenue vaille que vaille dans les tourments et les vicissitudes au travers de beaucoup de sacrifices, de courage et de dignité.

Ce n’était pas gagné d’avance et ça ne l’est toujours pas. L’État arménien d’aujourd’hui est né dans l’effondrement de l’Union soviétique par application d’un principe fondamental du droit international très méprisé par les grandes puissances : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Le 21 septembre 1991, les Arméniens d’Arménie soviétique votent leur indépendance à 99 %. C’est un défi fantastique car c’est un État fragile dans un pays dévasté et sans moyen, enclavé, à l’écart des grands courants du monde et entouré de beaucoup de gens qui ne lui veulent pas du bien. La frontière avec la Turquie demeure encore fermée aujourd’hui malgré tous les engagements du gouvernement turc.

Une grande part de sa population reste dans un grand dénuement, souffrant de malnutrition et globalement peu éduquée, en prise à des comportements que le socialisme intégral a développés. Il n’y guère de ressources exploitables et l’énergie a comme source presque unique une centrale nucléaire dangereuse dont les interruptions paralysent la nation : c’est un pays sous-développé.

Je me souviens d’Erevan tristement dépouillée de tous ses arbres, qu’une population frigorifiée avait dû utiliser comme bois de chauffage. Il a fallu gérer immédiatement le conflit du Karabagh dont la légitimité est regardée avec méfiance par la communauté internationale et continuer à faire face aux conséquences du terrible tremblement de terre de 1988 qui ajoutait la tragédie à l’adversité.

Vingt ans après, la situation est toujours difficile, mais des progrès indiscutables ont été accomplis sous les trois présidents de la République. La diaspora n’a cessé de s’engager dans le soutien économique et une croissance réelle a transformé la capitale, mais on ne dira jamais assez que la priorité est le développement des campagnes afin d’éviter l’exode de la population. La diplomatie a été sage en maintenant un équilibre entre les États-Unis, la Russie et l’Europe. La reprise du conflit du Karabagh a été évitée, même si la question n’est pas résolue, l’Arménie a fait la preuve de sa bonne foi et de son ouverture dans la relation avec la Turquie, tout en continuant à revendiquer la reconnaissance du génocide, alors que le nationalisme empoisonne la région.

Naturellement, la modernisation doit être poursuivie et elle est réclamée avec impatience. L’avenir de l’Arménie est d’être un îlot de prospérité et de stabilité dans une région traditionnellement tourmentée. Elle doit donner à ses enfants un haut niveau d’éducation et une grande ouverture sur le monde en profitant de sa diaspora, fruit de son malheur qui peut devenir l’instrument de son succès, à condition que chacun mesure bien sa place. La qualité du travail arménien, la ténacité et la patience que l’histoire a appris à son peuple, son adaptabilité, sont des atouts sur la longue durée si l’on est capable d’éviter la vanité et l’individualisme récurrents.

Quelles que soient les pensées légitimes de chacun, je pense que le rôle de la diaspora est de soutenir en étant influente sans être perturbatrice. La Bible dit que le mont Ararat est le lieu où l’on survit au déluge. L’Arménie vivante, conservatoire d’une culture millénaire, est un miracle qu’il faut protéger.

par le samedi 1er octobre 2011
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