Armand SAMMELIAN Rubrique

Le doux parfum de l’encens...


Il ne faut jurer de rien, mais tout de même...
L’entière diaspora sait maintenant que les caciques de l’Église Apostolique Arménienne sont résolus à casser le partenariat traditionnel entre laïcs et prêtres comme porteur d’un passé qui n’est plus, en voulant imposer un futur qui n’a pas lieu d’être ainsi. Cette situation préoccupante pose un certain nombre de problèmes pour tous ceux qui aiment l’Église de nos pères.
On ausculte généralement une institution par le haut, par ceux qui la dirigent, en charge d’en transmettre la vocation et les valeurs, et s’agissant particulièrement de notre Sainte Église, par les hiérarques élus parmi leurs pairs pour annoncer la Paix du Christ à ses ouailles.
Qu’on cesse de se raconter des histoires !
Certes, nul ne sait lire véritablement les épreuves que nous traversons, mais il est aujourd’hui certain que cette Église est malade, saisie par une fièvre entêtée de son Clergé qui la rend agressive, loin des pudeurs iréniques, miséricordieuses et charitables, qui accompagnent habituellement les fidèles aux quatre saisons de la vie.
Un esprit de clan et d’intrigues a envahi le corps ecclésial de haut en bas, au point que prêtres et paroissiens ne semblent plus être au même endroit du chemin qui mène à Dieu.
S’il nous apparaît ni opportun ni convenable de caricaturer la détermination farouche à s’approprier l’Église engagée par l’autorité ecclésiale contre la volonté des paroisses, le plus grand drame n’est pas qu’on en parle, mais que personne n’en dise rien.
En effet, la question de la collaboration entre les prêtres et les laïcs ne faisait pas débat jusqu’aux dragonnades de fin 2009 perpétrées par la sinistre garde prétorienne du sulfureux et inénarrable Père Vatché à Nice, suite à la décision de faire de l’Église une forteresse inexpugnable soumise au seul commandement des religieux.
Depuis lors, par une sorte de contagion universelle, tout se passe comme si, las de se faire aimer, les prêtres avaient décidé de se faire craindre, épaulés par tous ceux toujours prêts à égorger quelqu’un pour obtenir le déclassement des laïcs, particulièrement sur le terrain des paroisses qu’ils voudraient zones de non-droit et d’exclusion.
En voulant se les accaparer et les démanteler, les prêtres n’ont fait qu’amplifier, par réaction, le sentiment qu’elles appartiennent à son peuple outre de lui révéler l’absolu Divin que cet héritage sacré représente pour lui au plan symbolique.
Car l’Église Apostolique Arménienne nous oblige en tant que plus vieille institution du plus vieux pays chrétien de la planète, Étoile Polaire la plus vénérée, la plus sainte et la plus intime aussi de la Nation Arménienne.
Aussi, la lutte contre le potentat clérical et les méthodes déplorables de ses pistoleros bling-bling ne saurait se confondre avec une transgression de la loi divine dont la diaspora serait coupable. Car elle n’incrimine pas la spiritualité de l’Église Apostolique Arménienne, son Saint magistère dispensant la grâce parmi les hommes, guidant leurs pas et touchant leur cœur comme il se doit, mais vise l’inflation de sécularité de type totalitaire qui anime ses hauts dignitaires.
Ce n’est donc pas impiété de s’indigner sur les faussetés et sornettes circularisées par ces derniers contre les fidèles qui s’opposent à l’interruption brutale du partage des rôles dans la gestion des paroisses et qui disent, tout simplement, qu’il y a le Religieux et ce qui sort du cadre du religieux.
S’agissant de la paroisse de Nice, il n’est pas une seule initiative ecclésiale qui ne porte une ombre, pas une déclaration qui demande à être regardée à la lumière de la vérité, pas une qui ne relève de la tromperie, lot ordinaire des institutions qui trébuchent.
Nonobstant la centralité de l’Église Apostolique Arménienne, sa Sainteté et le respect dévolu à son Haut et Bas Clergé dont nous sommes d’accord pour dire que leur état n’est pas qu’un habit, le pouvoir religieux n’est toutefois pas autorisé à instaurer la chasse aux sorcières en menaçant les paroissiens d’excommunication et se moquer de la justice des hommes en les assignant devant les tribunaux, tout en récusant par avance des décisions judiciaires non encore rendues !
Il suffit pour s’en convaincre de se référer au nouveau « Guide » pour constater, à première lecture, qu’il sacrifie la relation sacrée de berger à agneaux pour celle comminatoire de maître à serviteurs et érige un mur infranchissable à l’ombre duquel buterait le troupeau muselé des laïcs, infériorisé et subordonné à des religieux exonérés, par une sorte de dissociation divine, de rendre des comptes terrestres.
C’est dans les lignes de ce grimoire insolite, mode d’emploi des futurs statuts des associations cultuelles, qu’il faut chercher pour comprendre l’offensive de sécularisation des paroisses, métamorphosées en possessions cléricales tournées vers les choses temporelles, argent, gestion et représentation, sous couvert de conciliation du spirituel et du temporel aux dépens du Sacré.
De surcroît, pour camoufler leurs pratiques belliqueuses, les clercs ont la prétention de légitimer cette recomposition-décomposition paroissiale à partir d’analyses péremptoires d’érudits qui n’hésitent pas de traiter les contradicteurs d’ignorants, comme si le Savoir donnait le droit à un homme d’en faire taire un autre.
Comme si le Savoir empêchait la mauvaise foi.
Comme si la Foi reposait sur la connaissance du droit canon.
Comme si la Connaissance valait certitude.
Comme si le Vice n’avançait pas en se parant de Vertu...
Donner la parole aux gens d’en bas dont le bon sens ne les trompe pas, est une marque d’intelligence qui peut manquer au savant dont l’esprit se rétrécit à force d’entrer dans le détail des choses. Et l’on n’a jamais vu le bon peuple faire l’éloge de l’imbécilité !
Au demeurant, entre l’Homme et l’Esprit, l’intuition suffit au maintien du lien qui les unit, sans parler de l’intelligence du cœur.
Point besoin donc de doctes maîtres à penser non plus, admirateurs de la vertu plus que vertueux, pour dénoncer un pouvoir ecclésial autocratique qui, pour répondre aux enjeux matériels et financiers du nouvel ordre mondial, a cru bon d’adouber une nouvelle race de seigneurs ecclésiastiques, dans une conception politique de la religion, confondant Cité Céleste et Cité Terrestre.
Cette instrumentalisation politique cachée derrière cette offensive cléricale pourrait être en charge d’encadrer la diaspora, ce qui au fond ne serait qu’une vieille tentation des clercs d’utiliser leur sacerdoce à des fins politiques.
De plus, le renouveau clérical à l’œuvre induit par le « Guide » tend à réduire les Français d’origine arménienne à une minorité chrétienne d’Orient à part, alors qu’ils sont partie intégrante de la République Française et partagent la citoyenneté française à part entière. C’est bien pourquoi les Français d’origine arménienne refusent cet ensemble ordonné autour de la foi apostolique qui ferait d’eux une minorité confessionnelle dont le chef naturel serait le prêtre.
Si tel était le cas, cette incongruité sonnerait le tocsin de l’Église Apostolique Arménienne et de ses paroisses, par le repli communautariste intégriste qu’elle impliquerait en diaspora.
Les simples, les humbles, les sans-grade, les déshérités, tous les paroissiens incultes à qui on cache tout ce qu’ils devraient ignorer, abaissés dans leurs prérogatives, avilis par les insultes, sont unanimes à dénoncer le comportement de ce corps ecclésiastique, rassemblé en coterie, qui a opté délibérément pour la politisation de l’Église ou qui sait !? La spiritualisation de la Politique, dans tous les cas pour un transfert de sacralité qui la défigure.
Quant à nous, nous espérions naïvement une spiritualisation encore plus profonde de notre Église aux fins de perfectionner encore l’ouvrage de Dieu et le purifier des souillures et corruptions humaines.
C’est pourquoi, il serait exact de dire qu’ignorer le bas-peuple pourrait être une faiblesse fatale car d’évidence, cet accès de fièvre nous fait prendre le risque de nous combattre les uns contre les autres alors même que l’Église Apostolique Arménienne a toujours incarné l’unité et l’âme de la nation arménienne.
En un mot, lorsque l’on choisit l’Église Apostolique Arménienne, il ne faut pas la profaner ou alors il ne faut pas la choisir !
À chacun de juger !
Ceux qui reçoivent la confession sont plus enclins à cacher leurs insuffisances.
Le dilemme n’est pas entre de soi-disants sachants infatués constitués en élites occultes, civile ou religieuse, et la masse des ignorants désespérés, mais de savoir si d’une part, le radicalisme dogmatique visant à imposer le droit canon apostolique arménien est salutaire et fécond pour la diaspora, et si d’autre part les méthodes terrorisantes utilisées sont appropriées pour maintenir vivantes sa foi et sa tradition.
La question est de savoir quel Malin est à la manœuvre dans cette entreprise de démolition destinée à rompre le lien entre le Corps et l’Esprit, la culpabilité et la rédemption, Dieu et le petit Homme, particulièrement pour Nous qui commencions déjà à mourir un peu le jour où nous apprenions le génocide de notre peuple, accablés du poids de ce Monde méprisable.
Il semblerait que le doux parfum de l’encens ne soigne pas la fièvre, mais ferme bien des esprits quand il ne les enivre pas.
Armand SAMMELIAN avril 2011

par le vendredi 20 mai 2011
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