Clara Kouyoumdjian Rubrique

Billet d’humeur


Le mois d’avril ravive chaque fois des plaies qui ne se sont jamais cicatrisées. Cette année, plus que jamais, la situation engendrée par la pandémie due au COVID-19, exacerbe ces douleurs et les rend violemment insupportables. Certes, le confinement provoque sans aucun doute cet état de fait. Chacun, dans son coin, se rappelle tel ou tel évènement et ressasse des souvenirs éminemment tristes. Avec ou sans virus, nous n’en sortirons pas indemne. Autour de moi, les nouvelles m’attristent, d’autres me rassurent, mais toutes me plongent dans un état de confusion. On parle beaucoup de ceux qui partent sans qu’on puisse leur rendre l’ultime hommage et brutalement, on pense que ce serait bien d’assister nos aînés dans leurs derniers moments. Quelle dérision.

Tout cela me perturbe et je fais souvent ce rêve étrange et obsédant dans lequel j’interroge ma grand-mère, savoir ce qu’elle a vécu après avoir été séparée de son mari d’abord, puis de ses enfants. Elle, qui a été enlevée par un turc, a vécu dans son harem pendant 33 années, libérée comme une esclave après tout ce temps, a pu enfin rejoindre ses enfants en France. Mais elle n’a jamais rien raconté. De son vivant, elle est restée silencieuse, sans jamais avoir fait la moindre allusion à son passé antérieur, comme si celui-ci n’avait jamais existé. Ma mère, comme beaucoup d’autres enfants de son âge a grandi dans un orphelinat. Elle avait 5 ans et depuis cet âge et jusqu’au retour de sa mère, jamais elle n’a prononcé le mot « Maman » ! Comment se reconstruire après cela ? Comment vivre après cela ?
Surtout, comment ne pas en vouloir à ces monstres qui ont osé tuer, arracher des mères à leurs enfants. ne pas en vouloir à tous ces négationnistes ignorants osant douter encore de la réalité du génocide.

Cette semaine, la date du 24 avril, décrétée Journée de commémoration nationale par le Président de la République Française, aurait dû être honorée. Le COVID-19 en a décidé autrement. Bien sûr, on va nous abreuver de documents d’archives diffusés à des heures tardives sur des atrocités qui ont eu lieu 105 ans auparavant. Alors, forcément, c’est dans notre cœur et dans nos têtes que nous allons faire notre devoir de mémoire, comme nous le faisons inlassablement chaque jour de notre vie. 
Mais confinement oblige, il n’y aura rien d’autre. Quelle aubaine pour ceux des édiles et de leurs élus qui n’ont jamais respecté cette date, ni par une gerbe de fleurs, ni par un mot de compassion. Cette année, les circonstances vont encore leur donner l’occasion d’échapper à cette obligation. Une fois de plus, ma colère gronde à l’encontre de ces personnages sans scrupule, ne pensant aux arméniens que comme une voix d’électeur. Ceux-là même qui vous conseillent de vous confiner à cause de votre âge, alors qu’eux-même plus âgés persistent à rester au-devant de la scène.
Je ne leur demande qu’une chose, à tous ces gens sans aucune dignité, c’est de nous respecter, nous qui participons activement à la vie de nos communes et à l’honneur de la France, comme nos parents, qui se sont engagés pendant la dernière guerre, qui ont fait de la Résistance, certains ont été faits prisonniers, pour « gagner » la nationalité française seulement après la fin des hostilités.

Nous avons été élevés dans le respect des lois du pays qui a accueilli nos parents et pour lequel ils se sont battus. Beaucoup de français de toutes origines, devraient en prendre exemple.

Aujourd’hui, je pense à ma grand-mère, et je ne demande rien d’autre que juste du respect pour elle, pour tous ceux qui ont payé de leur vie, pour nous, pour nos enfants, pour nos petits-enfants.

24 avril 1915, nous ne pourrons jamais oublier.

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par Stéphane le lundi 20 avril 2020
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