OPINION Rubrique

AMERICA ! AMERICA ! Par Armand Sammelian


C’est peu dire que l’entrée des américains dans la Grande Guerre fut lente et hésitante .
Dans le droit fil de la doctrine non-interventionniste du président MONROE en 1823 et à vrai dire la fin de la guerre d’indépendance contre la Grande-Bretagne en 1783 , c’est sans surprise , dès le 4 août 1914 , que le président démocrate WOODROW WILSON , juriste universitaire au grand cœur , proclama la neutralité américaine lors de la première guerre mondiale et que sa réélection en novembre 1916 reposa sur l’affirmation qu’il avait sauvé les Etats-Unis de la guerre .
Mais la tragédie du « LUSITANIA » coulé en 1915 par les allemands avec 114 américains à bord puis les attaques sous-marines contre les navires de commerces américains et surtout le projet d’alliance de l’Allemagne avec le Mexique contre les Etats-Unis vont convaincre le président américain d’intervenir dans le conflit , non s’en rappeler le 6 avril 1917 , dans un discours mémorable montrant le chemin à l’entière humanité , que les Etats-Unis ont pour mission quasi-divine de répandre la Civilisation , la Paix éternelle et la Justice partout dans le monde en libérant les peuples de l’oppression afin que chaque homme de la planète puisse choisir les conditions de son existence .
C’est ainsi que le discours de ce pacifiste convaincu va se conclure par le vote du Congrès Américain d’entrer en guerre contre l’Allemagne , par 373 voix contre 50 , alors même que les objectifs de Wilson n’étaient pas de faire la guerre mais la paix .
A partir du 13 juin 1917 , deux millions de « boys » débarqueront sur le sol d’une France dès lors convaincue d’une victoire inéluctable des Alliés . Cent mille d’entre eux ne rentreront jamais chez eux à l’issue d’un conflit qui comptera au total 18 millions de victimes !
Quelques mois plus tard , le 8 janvier 1918 , W.WILSON précisera en 14 points son idéal de société humaine inspiré des Lumières dans un programme « Kantien » de droits et obligations réciproques dans le but d’établir un monde nouveau sur les ruines des empires germanique , austro-hongrois et ottoman avec comme principe majeur « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » .
Il prônera , en outre , le rassemblement des Etats et l’organisation de leurs rapports pour un ordre international au sein de la SOCIETE DES NATIONS ( SDN ), une institution garantissant la paix et la sécurité collective par des règles éthiques et juridiques inviolables visant l’émancipation , l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de chaque nation , grande ou petite .
La Conférence de la Paix qui se réunit le 18 janvier 1919 sous la tutelle américaine , à l’issue de la guerre , en présence de Wilson lui-même , en rédigera la charte fondatrice sur les principes utopiques de désarmement , de respect du droit international et de l’interdiction de déclarer la guerre , à rebours des principes de réal-politik qui caractérisent par nature les Etats c’est à dire leur inégalité , leur défiance mutuelle ou leur souveraineté .
Au point que le Congrès Américain lui-même ne ratifiera pas le traité de paix et que les Etats-Unis n’intégreront jamais une SDN vidée d’efficacité par un Conseil qui n’aura comme seul pouvoir que celui de recommandation au sein d’un nouvel ordre mondial duquel les vaincus étaient exclus ....et la récession économique de la Grande Crise de 29 prévisible !
C’est dans ce contexte contrasté , partagé entre les intentions les meilleures et une impuissance programmée , que sera signé le TRAITE DE VERSAILLES entre l’Allemagne et les Alliés le 28 juin 1919 , date anniversaire de l’attentat de Sarajevo , traité qui introduit la création d’une SDN pétrie de bonnes résolutions mais qui fera le lit du Nazisme à cause des frustrations et injustices juridiques , économiques et politiques qu’il a pu susciter dès sa conception .
De son côté , la Conférence de SAN-REMO , composée des délégations britannique , italiennne , française , japonaise , grecque et belge , se réunit du 19 au 26 avril 1920 pour fixer le sort du Moyen-Orient arabe et des minorités ottomanes lors du TRAITE DE SEVRES qui sera signé le 10 août 1920 entre les Alliés et le Sultan Mehmet VI sous le haut-patronage de la SDN .
Il marquera le découpage à la carte de l’Empire Ottoman et génerera un hypernationalisme turc hystérique : Constantinople et le Bosphore sont décrétés territoires internationnaux tandis que grecs , kurdes , arméniens , italiens , britanniques et français se partagent l’Asie Mineure et le Croissant Fertile conformément aux accords Sykes-Picot .
Surtout , le Traité de Sèvres prévoit un Kurdistan autonome en Asie Mineure orientale ( articles 62 à 64 ) et une GRANDE ARMENIE indépendante regroupant l’ensemble de ses territoires historiques russes et turcs ( articles 88 à 94 ).
L’article 88 de la section VI du traité stipule que « la Turquie déclare reconnaitre , comme l’ont déjà fait les Puissances Alliées , l’Arménie comme un Etat libre et indépendant » .
L’article 89 précise que « la Turquie et l’Arménie ainsi que les autres Hautes Parties contracrtantes conviennent de soumettre à l’arbitrage du Président des Etats-Unis d’Amérique , la détermination de la frontière entre la Turquie et l’Arménie dans les vilayets d’Erzeroum, Trebizonde , Van et Bitlis et d’accepter sa décision ainsi que toutes dispositions qu’il pourra prescrire relativement à l’accès de l’Arménie à la mer et relativement à la démilitarisation de tout territoire ottoman adjacent à la dite frontière » .
Wilson avalise , en parallèle , la création du « Near East Relief » en 1919 à la demande de l’ambassadeur Morgenthau , grand témoin des atrocités commises , afin de fournir un secours humanitaire aux rescapés arméniens , construire des orphelinats , des écoles et des centres de distributions alimentaires .
Certains y voyaient comme la fin d’une histoire et le commencement de temps radieux .
Sauf que suite à un sursaut national autour de Mustafa Kemal qui a proclamé la création d’un gouvernement de résistance et d’une Grande Assemblée Nationale le 23 avril 1920 à Ankara , les turcs se lancent dans une guerre d’indépendance de près de 4 ans qui se concluera par les Traités de KARS avec les soviets en octobre 1921 et de LAUSANNE le 23 juillet 1923 avec les Alliés - que l’Arménie n’a jamais signé - réduisant à néant la dette morale dûe aux survivants arméniens qui , avec les grecs , se convertiront à l’Islam en masse pour sauver leur peau .
Le Traité de Sèvres n’étant jamais ratifié , la GRANDE ARMENIE restera une fiction , le péché originel sanglant actant la naissance de la République Kémaliste - le génocide des arméniens - jeté aux orties , la Cilicie Arménienne sera l’histoire d’un abandon honteux par la France afin de complaire aux turcs et se ménager quelques marchés juteux .
Rien que du banal dans la séléctivité des émois !
Les affaires reprenaient leurs cours de plus belle au service de tous et de chacun , stimulées par l’addition des raisons d’Etats stratégiques et de leur logique marchande , à l’abri d’un parapluie américain sans faille malgré la reconnaissance , au fil des ans , du génocide des arméniens par 49 états américains sur 50 , la qualification américaine explicite de génocide devant la Cour Internationale de Justice en 1951 s’agissant du massacre des arméniens , trois résolutions parlementaires américaines en 1975 , 1984 et 1996 , la référence au génocide des arméniens par le président REAGAN en 1981 et sa reconnaissance par la commission des affaires étrangères américaine en 2007 .
Des décennies que l’Amérique souffle le chaud et le froid , entre anges et démons , sans jamais altérer un prestige turc qui a capitalisé inlassablement sur le mercantilisme de l’Occident !
De facto , il aura fallu attendre un siècle pour que successivement , à quelques semaines d’intervalle , la Chambre des Représentants le 29 octobre 2019 par 405 sur 435 et le Sénat des Etats-Unis le 12 décembre 2019 à l’unanimité , républicains et démocrates jusque-là baillonés et défigurés les uns et les autres par le trou noir du business et le véto de la MAISON-BLANCHE , réveillent cette mémoire dérangeante et adoptent chacun une résolution sans précédent appellant « à reconnaître le Génocide des Arméniens , sa commémoration et l’enseignement des atrocités commises mais aussi à rejeter les tentatives d’associer le gouvernement américain au déni turc » , écornant lourdement la glauque diplomatie négationniste traditionnelle turque , ses marchandages sordides , ses menaces de représailles permanentes et ses corruptions en tous genres .
Ainsi , la cheffe du Congrès Américain Nancy Pelosi dira solennellement sous un tonnerre d’applaudissements : « Trop souvent , de manière tragique , la réalité de ce crime abominable a été niée. Aujourd’hui , nous disons clairement , dans cet hémicycle , afin que ce soit gravé dans le marbre des annales du Congrès : les actes barbares commis contre le peuple arménien constituent un génocide ».
Madame , en appelant cette « Grande Catastrophe » par son nom et en la désignant avec les justes mots pour la dénoncer , notre Peuple de l’ombre s’incline devant votre courage , votre pérsevérance et votre humanité et vous exprime sa gratitude infinie pour ces résolutions arrachées du néant qui grandissent l’Amérique .
Au passage , le Congrès Américain tord le cou à la décision pitoyable de la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg qui en 2015 , dans l’affaire Perincek contre la Suisse , donnait droit au négationnime d’Etat turc et la pureté de sa race , au nom de la liberté d’expression , l’année même du centenaire .
Un siècle donc pour que le Congrès des Etats-Unis rejoigne l’Allemagne dont la résolution explicite du Bundestag le 2 juin 2016 reconnaissait la COMPLICITE du 2e Reich dans le génocide des arméniens de 1915 afin de devenir les porte-voix de ceux qui n’avaient pas la parole !
Un siècle de vérité confisquée , estropiée , d’impasse et de dérobade sur le sort tragique des arméniens pour que la grande Amérique , dont les archives regorgent pourtant de preuves incontestables , se montre digne de son 28e Président presbytérien , prix Nobel de la Paix en 1919 , touché par le destin tragique réservé au peuple arménien qu’il voulut honorer en lui restituant ses terres et son honneur lors du Traité de Sèvres mais qui n’a pu conjuguer , affecté par une attaque cérébrale paralysante et une vue déficiente , la chaleur du souffle divin avec la froideur de la laideur humaine .
De portée symbolique par ses exigences de vérité , de morale et de simple justice , ce vote inédit , accablant et plein d’espérance à la fois , signe le point bas dans lequel l’Amérique était plongée et met en exergue l’universalité de la Cause Arménienne en en faisant désormais l’affaire de tous contre l’omerta qui a trop longtemps légitimé la Turquie au rang des nations civilisées ......
Sauf à constater qu’il s’agissait là d’une duperie destinée à souffler sur les braises pour mettre en garde le Sultan et ramener au bercail ce vassal cacochyme au sein de l’OTAN suite à son rapprochement avec la grande Russie , l’irruption de ce coup de semonce « Pelosien » appelle un « twitt » de bastringue du président TRUMP , entre deux somnolences ou extravagances .
C’est que le fantasque 45e Président américain pourrait désormais , en signant spectaculairement une loi de reconnaissance à la Maison-Blanche devant les caméras , comme lui seul en a le secret , sonner le tocsin de la morgue assurance de la Sublime Porte , pourvu que son gendre et les ligues juives américaines y consentent !
En attendant ce rendez-vous avec l’Histoire , il reste que la substitution du TRAITE DE SEVRES par celui de LAUSANNE accordant un blanc-seing à la Turquie d’Ataturk et l’impunité aux cadres unionistes commanditaires du génocide , a accouché d’une République hyper-nationaliste irrascible , obstinément enracinée dans un islamisme conquérant habillé de laîcité , qui pratique la torture , refuse la différence , rejette le principe d’égalité , interdit la liberté de conscience , enferme ses élites et couvre les crimes d’honneur .
Gageons que , dorénavant , en cette nouvelle décennie , la Démocratie Américaine devienne la figure de proue de notre juste Cause laquelle , à armes inégales , s’est fracassée jusqu’ici contre son silence et son mépris , aux interêts constants d’une théocratie militaire turque sous perfusion qui ne peut réclamer à la fois l’héritage de l’Empire Ottoman , celui des Jeunes-Turcs et du Gazi et se débarrasser en même temps du Génocide des Arméniens .
C’est forcément tout ou rien !

ARMAND SAMMELIAN

par La rédaction le samedi 22 février 2020
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