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En savoir plus sur le génocide arménien en jouant à un jeu vidéo


Garabed Khachadour n’avait que 48 heures pour créer un jeu vidéo sur la liberté. Il participait à un tournoi contre sept autres équipes de développeurs dans l’espoir de gagner de l’aide pour développer davantage leurs jeux. Khachadour, qui est arméno-libanais, a basé son jeu sur son arrière-grand-mère et son grand-père, les deux seuls survivants de leur village lors du génocide arménien de 1915. « Mon grand-père n’était qu’un bébé à l’époque », raconte le jeune homme de 24 ans. « J’ai pensé, pourquoi essayer de parler des expériences des autres quand j’ai ma propre histoire familliale à raconter. »

C’était en novembre dernier. Le jeu de Khachadour a retenu l’attention et l’appui de son hôte, la Fondation Friedrich Naumann (FNF), basée à Bonn (Allemagne), qui cherche des moyens novateurs de promouvoir les valeurs libérales dans le monde.

Le 2 mai, Mayrig - Paths to Freedom - un jeu basé sur le génocide arménien qui ne dit jamais explicitement qu’il est question de l’événement - a été lancé sur Android, Apple et PC. C’est un voyage révélateur, accompagné de photographies historiques et de musique arménienne traditionnelle, qui pousse le joueur dans la peau d’une réfugiée fuyant pour sauver sa vie.
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Mayrig (qui signifie « mère » en arménien) suit l’évasion d’une femme du génocide en Anatolie. Raconté à la première personne, le jeu demande au joueur de faire des choix déchirants. Dès le début, le joueur doit décider : Sauvez un bébé d’un village attaqué ou fuir. Chaque décision mène à l’un des six scénarios basés sur des événements soigneusement étudiés et historiquement exacts. Le joueur finit par tous les rencontrer - le jeu est conçu pour être rejoué jusqu’à ce que tous les scénarios aient été explorés.

Malgré le fait qu’il s’agisse d’un génocide, Mayrig n’est pas une fête au gore (genre de films qui suscite l’épouvante par l’abondance de sang). Ni les créateurs du jeu, ni la FNF n’ont voulu rendre sensationnelle la violence qui a tué environ 1,5 million de personnes. L’écrivain Carmina Khairallah dit avoir abordé les intrigues avec le plus grand respect pour les survivants. « C’est un jeu de vies réelles et de personnes réelles », explique-t-elle. Des scènes sont racontées, accompagnées de textes poignants, parmi lesquelles une rivière traversée par des milliers d’Arméniens pour fuir les tueries et des soldats debout à côté d’un tas de squelettes et de crânes. À la fin, il y a un bref historique des événements qui ont inspiré le jeu.

Au-delà du génocide, l’objectif plus général de Mayrig - objectif repris à la fois par Khachadour et Khairallah - est de mettre en lumière les épreuves auxquelles sont confrontés les réfugiés de tout conflit donné. Le parallèle évident est la crise en cours en Syrie, qui a produit le plus grand nombre de réfugiés au monde. Au Liban, plus d’un million de Syriens constituent près du quart de la population. Un grand nombre de réfugiés craignant des représailles du gouvernement syrien, il se peut que certains réfugiés souhaitent rester au Liban, tout comme l’ont fait les Arméniens il y a plusieurs décennies.

Mayrig n’est pas le seul jeu interactif à aborder la persécution des réfugiés. Bury Me, My Love (2017), par exemple, rend compte du sort des Syriens qui fuient en Allemagne. Mais Mayrig offre une perspective plus large, explorant des thèmes récurrents dans la plupart des conflits, selon Johannes Mieth, qui a supervisé le projet avec le FNF. Par exemple, la protagoniste cache son identité pour survivre - une situation courante pour les réfugiés fuyant leur pays. « Nous avons essayé de parler de problèmes qui se répètent », explique Mieth. « Nous avons essayé de relier le passé au présent. »

Le jeu gratuit est disponible en téléchargement en anglais et en arabe. Il est prévu de publier bientôt une version en arménien oriental. Ce que vous ne trouverez pas, c’est une version turque : la Turquie nie qualifier le massacre d’Arméniens de masse de génocide, ce que l’Allemagne a officiellement reconnu en 2016 - une action qui a provoqué la colère du président turc Recep Tayyip Erdoğan. La FNF ne voulait plus contrarier Erdoğan, selon Mieth. Il ajoute que, si Mayrig ne se réfère pas directement à la Turquie, il ne fait aucun doute que le jeu porte sur le génocide arménien. « Notre objectif n’est pas de provoquer la Turquie, mais d’aborder des questions intemporelles et pertinentes », explique Mieth. « Le message que nous envoyons est que quelque chose s’est passé il y a 100 ans et que quelque chose de similaire se passe aujourd’hui. »

Mayrig est un jeu à la fois opportun et évocateur. Offrant une fenêtre rare et provocante sur l’expérience de la migration forcée, c’est aussi un appel retentissant à l’empathie.

par Stéphane le jeudi 23 mai 2019
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