Les Fourberies de Tigran Mekhitarian
Le mot « Justice » graffé en fond de scène, des noms de pays calligraphiés au-dessus dont « Arménie » : en guise de décor, un squat inscrit immédiatement ce Scapin de Molière dans la France d’aujourd’hui. Celle de la rue, de la jeunesse, de la spontanéité. Et c’est bien ce qui fait l’originalité de cette revisite du classique de l’auteur du XVIIe siècle, grâce au talent du metteur en scène (et comédien en alternance) Tigran Mekhitarian.
Si la trame principale est toujours là et que les textes sont pour la plupart tirés de la langue de Molière, ces Fourberies de Scapin version XXIe siècle sont méconnaissables de modernité ! La pièce démarre par une « fâcheuse nouvelle » pour le jeune Octave : marié en secret à son amante, il apprend que son père est de retour avec le projet précis de l’unir à une autre... Rentre en scène alors Scapin qui use de ruses pour aider son jeune maître et tirer les ficelles. Ici, le valet malicieux de Molière est transformé en jeune voyou, capuche sur la tête et batte de baseball dans son sac à dos, habitué à vivre avec sa solitude en banlieue, mais qui décide de mettre sa liberté et son intégrité physique en jeu pour l’amour de l’humanité... S’il fait tout pour rendre service à une jeunesse appartenant à une classe sociale au-dessus de la sienne dans l’espoir d’y accéder, sera-t-il pour autant récompensé ?
Tigran Mekhitarian use de fourberies pour dérouter le spectateur, qui se laisse vite conquérir et prendre au jeu, lui qui est d’ailleurs à plusieurs reprises directement mis à contribution. Entre deux répliques en vieux français, se glissent avec malice et facilité des « Je m’en bats les couilles », ou autre textes en rap - et pas toujours des plus subtils, à l’image du « pardonne-moi, je voulais juste rentrer dans toi, pas dans ta vie » repris au rappeur Dosseh. Du rap sur du Molière, étonnant ? Et que dire quand, d’un coup, alors qu’on s’était habitué à ce langage contemporain et ce son violent, c’est du Jacques Brel ou Richard Cocciante qui est glissé en fond sonore ? Nous, on dit que ça nous a fait attrapé un coup d’amour, un coup d’je t’aime vis-à-vis de cette énergie et cette fraîcheur de chez ces gens-là de la troupe menée tambour battant par le metteur en scène Tigran Mekhitarian. Qui non seulement propose une mise en scène originale pleine de fantaisie, mais trouve encore le temps de jouer lui-même, en alternance, certains soirs Scapin ou Léandre.
Mais pourquoi ces choix si étonnants ? Tigran Mekhitarian répond sans filtre : « D’un point de vue personnel, je trouve que le théâtre est devenu élitiste et n’est plus représentatif de la réalité d’aujourd’hui. N’ayons pas peur des mots, nous voyons peu d’africains, d’arabes ou autres français d’origine étrangère, assis, prêts à vibrer à travers un texte de Molière ». Le comédien formé au cours Florent explique ainsi son choix de la modernité, son désir de rassembler par-dessus tout le plus large public autour d’un texte et des réflexions qu’il entraîne.
Alors, on ne saurait que vous conseiller, comme les comédiens le rappent eux-mêmes sur scène : « Viens voir en vrai comment on manie la langue des Molière... »
Texte : Claire Barbuti / Photos : David Law
Les Fourberies de Scapin, de Molière, mise en scène par Tigran Mekhitarian
Avec Isabelle Andrzejewski (Nérine), Théo Askolovitch ou Axel Giudicelli ou Damien Sobieraff (Carle), Sébastien Gorski ou Tigran Mekhitarian (Scapin), Charlotte Levy ou Pauline Huriet (Zerbinette), Tigran Mekhitarian ou Théo Askolovitch (Léandre), Louka Meliava (Sylvestre), Théo Navarro-Mussy (Géronte), Etienne Paliniewicz (Argante), Blanche Sottou (Hyacinthe) et Samuel Yagoubi (Octave)
Jusqu’au 14 avril, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h (dimanche 31 mars, représentation suivie d’une rencontre avec l’équipe artistique)
au Théâtre 13 / Seine (30 rue Chevaleret - 75013 Paris
Infos et réservations : http://www.theatre13.com/saison/spectacle/les-fourberies-de-scapin)
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