REMISE DES PRIX ET DEBAT Rubrique

Belle réussite pour la première édition des trophées des Nouvelles d’Arménie


L’idée de faire les « Trophées des NAM » est partie d’un constat simple : chaque semaine, à la rédaction, de nombreux livres nous sont envoyés. Il était donc important pour le magazine de donner un coup de pouce à cette littérature, en mettant à l’honneur les auteurs arméniens ou non, et les ouvrages qui traitent de thèmes proches de la cause arménienne, qu’il s’agisse de la problématique génocidaire, de la mémoire, de la résilience, de la défense des minorités ou plus généralement de l’histoire ou de l’actualité de la région du Caucase et du Moyen-Orient.

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Près de 200 personnes dans la salle.

Pour sa première édition, le jury composé d’écrivains, de journalistes, d’universitaires et d’artistes a tenu à récompenser quatre ouvrages d’exception : dans la catégorie « Essai » a été plébiscité L’Empire et les 5 rois (Grasset) de Bernard-Henri Lévy ; pour la thématique « Histoire » a été désigné La saga des Arméniens des Carpates (Les belles lettres) de Claude Mutafian ; le roman primé a été Le Sillon (le Tripode) de Valérie Manteau ; alors que Contes ordinaires d’une société résignée (Fluide Glacial) d’Ersin Karabulut a été choisi parmi les BD.

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Le jury s’est réuni le 8 juillet au restaurant Pétrossian pour les délibérations.

Si le jury s’était réuni à huis clos pour délibérer le 8 janvier au restaurant Pétrossian, c’est hier, le mardi 15 janvier, qu’ont étaient remis officiellement les trophées devant près de 200 personnes. Des objets remarquables, faits en Arménie et imaginés par le graphiste Ara Aslanyan (il s’agit de l’artiste du studio Tumo qui avait créé le logo « Doughov » - « Avec audace » - ornant la casquette de Nikol Pachinian lors de la Révolution de velours du printemps dernier).

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Quatre trophées originaux conçus spécialement par Ara Aslanyan.

Cette première édition des trophées des Nouvelles d’Arménie Magazine a été soutenu par le Conseil régional d’Ile-de-France. C’est donc tout naturellement que s’est exprimé en premier Patrick Karam, vice-président de la région : « Nous avons besoin de cette parole d’écrivains pour relever les consciences », a-t-il mis en avant pour justifier la création de ces prix, lui qui espère déjà pouvoir renouveler l’expérience l’année prochaine. Il a ainsi exprimé l’avis de Valérie Pécresse, qui n’avait pas pu être présente pour l’occasion : elle avait cependant tenu à « transmettre ses meilleurs voeux, et tous ses souhaits de longue vie » pour les trophées.

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Le directeur des Nouvelles d’Arménie Magazine, Ara Toranian, a ensuite pris la parole pour remercier les auteurs présents, mais aussi l’ensemble du jury qui s’est investi totalement pour la réussite de l’événement.

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Le jury pour les essais est composé de Lucile Schmid et Frédéric Encel, ainsi que Gaïdz Minassian.

C’est tout d’abord Lucile Schmid qui a remis son prix à Bernard-Henri Lévy pour L’Empire des 5 rois, dans la catégorie Essai, les deux autres membres du panel pour ce trophée étant Frédéric Encel et Gaïdz Minassian (journaliste au Monde). Un choix motivé par l’idée que la lecture de cet essai a révélé un engagement et une émotion forte pour le jury : or, « ce n’est pas évident de trouver quelqu’un qui s’engage pour les minorités avec cette force (...) et qui nous montre la lâcheté de l’Occident qui bénéficie à cinq rois », a expliqué la collaboratrice à la revue Esprit. Des propos qu’a également repris à son compte l’essayiste Frédéric Encel : outre le courage de l’auteur, le géopolitologue a souligné que le prix visait également à mettre en lumière la « constance d’un engagement personnel ».

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Bernard-Henri Lévy avait fait le déplacement pour recevoir ce prix : « Je n’aime pas les honneurs, mais j’aime les prix », qui sont remis par « des institutions, des jurys que je respecte », a souligné le philosophe au début d’un discours particulièrement inspiré. Il a ensuite tenu à rendre un vibrant hommage aux Nouvelles d’Arménie Magazine : « Il y a un compagnonnage entre vous et moi », a-t-il dit avec fraternité à Ara Toranian, rappelant la mission exemplaire du magazine effectuée « auprès des morts ». « La façon dont vous vous faites les porte-mémoire a quelque chose de baudelairesquement bouleversant », a-t-il encore souligné, avant de se porter en première ligne contre le négationnisme d’Etat de la Turquie : « Si j’étais arménien, ça me rendrait fou. Déjà, ça me rend fou... ». Il a tenu à salué la beauté de cette récompense en concluant par ces mots : il s’agit d’« une belle claque, une belle leçon à tous ceux qui jouent avec le jeu de compétition des victimes, une des pestes des temps modernes », puisque le jury a tenu à récompenser un juif français.

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Pour le jury histoire ont pris la décision Hamit Bozarslan, Claire Mouradian et Vincent Duclert.

Pour la seconde catégorie, c’est l’historien turc Hamit Bozarslan qui a pris la parole pour justifier le choix de l’ouvrage de Claude Mutafian, La saga des Arméniens des Carpates. Pour lui, il a s’agit - avec ses comparses historiens Claire Mouradian et Vincent Duclert - de récompenser non seulement une connaissance approfondie de toute une vie, mais également cet ouvrage qui est « le sommet », qui vient « combler un vide important » : il agira ainsi comme « un guide pour s’acheminer vers des nouveaux chemins peu exploités », pense le jury.

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Claude Mutafian en discussion avec Hasmik Chahinian, qui était en compétition dans la catégorie BD.

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L’historien touché par cette récompense, donnée des mains de Charlie Sansonetti.

Claude Mutafian a pris la parole pour saluer le magazine des Nouvelles d’Arménie, qui est d’après lui « fondamental politiquement et culturellement ». Il s’est dit heureux de recevoir le prix pour son ouvrage qui montre l’expansion de la culture arménienne.

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Le jury BD était composé de Valérie Toranian, Laurent Mélikian et André Manoukian.

La troisième catégorie primée fut celle des bandes dessinées. Avec la journaliste Valérie Toranian et le musicien André Manoukian, le critique Laurent Mélikian a présenté le prix de l’auteur turc Ersin Karabulut pour Contes ordinaires d’une société résignée, le remerciant d’avoir « cherché la lumière et établi un pont entre les cultures ».

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Si l’auteur n’a pas pu être présent - notamment parce qu’il est en pleine préparation de procès face au régime d’Erdogan - c’est son éditeur Clément Argouarc’h qui a pris pour lui son trophée. Si l’éditeur de Fluide Glacial n’aurait jamais imaginé en publiant les écrits d’un Turc qu’il puisse être récompensé par un prix arménien, il a tenu à transmettre l’émotion ressentie par l’auteur à l’annonce de cette distinction, « un symbole fort » selon lui.

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Nelly Kaprièlian, Patrick Kéchichian et Michel Marian, les trois membres du jury Roman.

Enfin, ce fut au tour des romans d’être récompensés : c’est Le Sillon de Valérie Manteau qui a gagné le trophée, comme l’a annoncé le journaliste Patrick Kéchichian après délibérations avec Nelly Kaprièlian (la chroniqueuse des Inrocks était souffrante hier) et Michel Marian (le maître de conférence était présent dans le public). Retenue à Marseille, la lauréate du prix Renaudot, ex-membre de Charlie Hebdo, a tenu à faire passer un message fort à travers son éditeur du Tripode, Geoffrey Durand : « Pardon de ne pouvoir être parmi vous ce soir pour vous dire de vive voix combien l’honneur qui m’est fait me touche, particulièrement venant de vous, particulièrement pour ce livre qui est avant tout un chant d’amour et de communion avec les peuples d’Istanbul », a-t-elle tenu à dire, avant d’ajouter : « C’était une gageure pour une étrangère, assez ignorante comme moi, de choisir d’emprunter pour ce travail le sillon d’une histoire qui n’est pas la mienne, et malgré ma bonne volonté, toute mon empathie et pas mal de travail, je conserve au sujet de ce livre un sentiment mélangé d’inquiétude, d’inachevé, d’illégitimité, comblé petit à petit par les encouragements continus de ceux que j’ai croisés pendant l’écriture, en France et en Turquie, par les messages enthousiastes que je reçois des lecteurs qui ont reconnu dans le livre la Turquie qu’ils aimaient, et surtout aujourd’hui par la reconnaissance de vous qui avez connu, aidé, aimé Hrant Dink quand il était encore temps et qui conservez aujourd’hui sa mémoire et sa parole précieusement vivante. » Elle a conclu en citant son ami, l’auteur et comédien Dieudonné Niangouna, qui « a formulé ce principe de résistance que je vous soumets comme conclusion : « Et même si nous ne sommes que deux pour mille renoncements, très bien. On les encercle. ». »

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Valérie Manteau représentée par son éditeur, Geoffrey Durand, au Tripode.

Cette remise des prix a donc été très riche en émotion, montrant la diversité des problématiques touchant les Arméniens : on peut en effet voir que le jury a tenu à récompenser un bédéiste turc, un intellectuel juif, une écrivaine française et un historien arménien... Beau panel hétéroclite !

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S’en est suivi un débat très vif sur le thème : « Arméniens 2.0, les nouveaux défis, les nouvelles solidarités ». Patrick Karam a souligné dans un premier temps que, pour lui, « être Arménien, c’est cette mémoire du génocide ». Puis Lucile Schmid a pris la parole, pour énoncer l’idée que Pachinian avait fait avancer la cause des Arméniens : « Il a apporté un surcroît de respect pour les Arméniens, une capacité de créativité, une détermination démocratique, qu’il faut maintenant capitaliser », notamment pour la diaspora qui a son rôle à jouer désormais. Michel Marian a lui déclaré que, de son point de vue, « la chose la plus urgente et attractive est ce lien avec l’Arménie » qui est à développer, sans passer par des actions officielles. Pour Gaïdz Minassian, la Révolution a permis à l’Arménie de sortir de son état mémoriel, opaque, tourné vers le passé, pour se remettre sur les rails de l’histoire : « La question arménienne doit être universelle, et non une question nationaliste ».

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La revue Résonamces a été distribué au public passionné - ici, dans les mains d’Erol Ozkoray.

C’est Patrick Karam qui a conclu les débats, saluant la combativité d’Ara Toranian : « Avec des gens comme ça, votre communauté a de l’avenir », a-t-il prédit. Une belle réussite donc pour cette première édition des Trophées littéraires des Nouvelles d’Arménie, qui en appelle d’autre... Avec, pourquoi pas, l’idée de l’étendre à d’autres pans culturels au vue de l’engouement que ces trophées ont suscité.

Texte et photos : Claire Barbuti

L’intégralité de la soirée en vidéo :

par Claire le mercredi 16 janvier 2019
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