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Il y a 30 ans, Charles Aznavour pour l’Arménie


Ce jour là, le mercredi 7 décembre 1988, il était 11h 41 en Arménie (8h 41 en France - et le 6 décembre : 23h 41 à Los Angeles), quand un terrible grondement jaillira des entrailles de la terre à la surface des villes de Gumri (ex Leninakan), Spitak et Kirovakan, annonciateur du plus meurtrier séisme qu’ait jamais connu l’Arménie. 25 000 victimes, près de 20 000 blessés, des milliers d’orphelins, 500 000 sans abris, des villes entières à reconstruire…

À Los Angeles, Georges Garvarentz (2) est encore en studio, attentif à l’enregistrement d’une musique de film. Il ne sait rien de la catastrophe qui vient de frapper l’Arménie. De son côté, Aïda, son épouse, vient d’entendre la terrible nouvelle dans un flash télévisé. Bouleversée, elle décide de ne rien lui dire pour ne pas le troubler dans son travail. Ce n’est que le lendemain, à bord du vol Los Angeles-Paris, qu’il apprendra de la bouche de la sœur de Charles Aznavour (1), ce que la terre ancestrale venait de subir. Georges Garvarentz, célèbre compositeur de nombreux succès de l’icône de la chanson française, pense déjà à écrire une musique. Mais il doit d’abord voir Charles qui met un point d’honneur à écrire les paroles, ensuite mises en musique.

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Lévon Sayan et Charles Aznavour le 24 avril 2010 à l’Arc de Triomphe

Au moment où Georges enregistre à Los Angeles, Lévon Sayan, agent de l’auteur de « Ils sont tombés », est lui dans un avion qui vole vers Paris en provenance de New York. Nous sommes le 7 décembre 1988. Peu après sa descente d’avion Lévon entend l’information selon laquelle un tremblement de terre d’une magnitude de 6,9 sur l’échelle de Richter, vient de frapper l’Arménie.

À Paris, pour Charles Aznavour, c’est la stupeur

Dès lors tout s’enchaîne très vite. À peine a-t-il mis le pied sur le seuil de son appartement, que Lévon Sayan se précipite sur le téléphone. À l’autre bout du fil, Charles Aznavour. Les idées fusent. Faut-il organiser un concert ? Créer une association ? Dans l’urgence, l’association est créée. Ce sera « Aznavour pour l’Arménie ». Pour la constituer, Lévon fait appel à des amis arméniens, parmi lesquels, Nora et Daniel Artinian, Alain Barsikian, Dominique Adjian, et à son épouse Anne-Marie Sayan.

Course contre la montre

À leur retour sur le sol français, Georges et Aïda Garvarentz retrouvent alors Charles Aznavour. Ils travailleront ainsi toute la nuit à écrire ce qui deviendra « Pour toi Arménie ».

Les médias couvrent largement l’événement. Charles Aznavour est sollicité de toutes parts. Il annonce la création de l’association qui, dès le lendemain croule sous les envois de colis, chèques et offres d’aide. Le bureau de l’association, sous la direction de Lévon Sayan, assisté de Régis Bakian, doit gérer au mieux un élan de générosité instantané parvenant des quatre coins de France.

Dans le même temps, l’idée de faire appel aux artistes français a fait son chemin. « Pour toi Arménie », est l’une des réponses de la France à l’appel à l’aide lancé par l’amie arménienne.

Pour contacter les artistes une équipe s’est constituée autour de Lévon : Gérard Melet (directeur artistique chez Trema) Katia (Katia promotion), les frères Raffi et Patrick Shart et votre serviteur. Aucun refus n’a été enregistré. Que des impossibilités d’ordre professionnel. J’ai personnellement eu Johnny Hallyday au téléphone, ainsi que Julien Clerc et Gérard Bohringer.

Quand Johnny est arrivé au Studio Guillaume Tell à Suresnes, je lui ai aussitôt remis les paroles de la chanson et un Walkman contenant la mélodie jouée au piano afin qu’il s’imprègne rapidement du thème. Il n’était pas question de faire revenir les 89 artistes, chanteurs, comédiens et animateurs de télévision qui s’étaient déplacés toute affaire cessante. D’autant que l’équipe technique d’Henri Verneuil (3) travaillait elle aussi gracieusement pour le tournage du clip.

Et il ne faut pas oublier l’émouvante interprétation parlée de « Ils sont tombés » par Robert Hossein et Rosy Varte.

Pendant ce temps, à Gumri et Spitak, le bilan s’alourdissait de jour en jour.

Le miracle

Durant 9 longues heures, Charles Aznavour et Georges Garvarentz ne ménageront pas leur peine à faire répéter les uns et les autres pendant qu’Henri Verneuil faisait du repérage et des plans d’ensemble. Et puis le miracle eut lieu. Cet aréopage d’artistes qui n’ont de commun entre eux que d’appartenir aux familles du cinéma, de la télévision et de la chanson, dans des styles parfois distanciés de celui de Charles Aznavour, offriront -et ça se voyait dans les yeux- le meilleur d’eux-mêmes quand, aux trois dernières notes s’éleva dans l’enceinte du studio d’enregistrement, tel un moment de grâce, le mot « HAYASTAN ». C’est sûr, ce jour là, le Mont Ararat a dû verser une coulée de neige en guise de larme.

2 Millions de disques vendus

Ainsi, il n’aura fallu qu’un mois et demi, entre la création de la chanson et l’enregistrement du disque, pour qu’enfin, le 18 janvier 1989, jour de son lancement au restaurant Le Fouquet’s (événement offert par Maurice Casanova), le disque fasse son entrée dans tous les foyers, suivi du clip de Henri Verneuil.

Dans un immense élan de solidarité du public français, près de 2 millions d’exemplaires de « Pour toi Arménie » seront vendus et permirent à l’association Aznavour pour l’Arménie d’intervenir au mieux dans l’assistance aux sinistrés. Une action qui, à ce jour, ne s’est pas démentie face aux urgences.

L’œuvre du monument de la chanson française est poursuivie aujourd’hui par son fils, Nicolas Aznavour. Un des projets de la Fondation Aznavour est de reloger les familles qui vivent toujours dans des conteneurs. On peut adresser les dons à la Fondation ici : www.aznavourfoundation.org

Pensées à Charles Aznavour et aux artistes aujourd’hui disparus qui ont participé à l’élan du cœur : Gilbert Bécaud - Gérard Blanc - Carlos - Jean Carmet - Jean-Pierre Cassel - Michel Delpech - Sacha Distel - Johnny Hallyday - Pierre Mondy - Georges Moustaki - Serge Reggiani - Henri Salvador - Jean-Marc Thibault - Rosy Varte - Henri Verneuil

Jean Eckian

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(1) Charles Aznavour, né le 22 mai 1924 à Paris, est décédé le 1er octobre 2018 à Mouriès (B-du-Rh) à l’âge de 94 ans d’un arrêt cardiaque. Il repose au cimetière de Montfort-Lamaury dans la chapelle familiale. Du jour du tremblement de Terre, Charles Aznavour, par le truchement de l’association « Aznavour pour l’Arménie », s’investira pleinement au service des sinistrés et de la reconstruction du pays. De même qu’il apportera son soutien à la lutte contre le négationnisme et la reconnaissance du génocide par la Turquie. Bien que plusieurs fois invité à chanter en Turquie, il n’y mettra jamais les pieds.

(2) Georges Garvarentz, né à Athènes le 1er avril 1932, est décédé le 19 mars 1993 à Aubagne (B-du-Rh) à l’âge de 61 ans d’un arrêt cardiaque. Deux ans auparavant, il avait été victime d’un accident vasculaire cérébral. Il repose au cimetière de Montfort-Lamaury dans la chapelle de la famille Aznavour. Son père, Kevork, est l’auteur de « Haratch Nahadag », l’hymne national arménien écrit en 1915, en collaboration pour la musique avec Parsegh Ganatchian, compositeur de « Mer Hayrenik ». Outre les chansons interprétées par Charles Aznavour, Georges Garvarentz a écrit 67 musiques de films, dont Douce violence, Un taxi pour Tobrouk, Le rat d’Amérique, L’homme d’Istanbul, Cherchez l’idole, Paris au mois d’août, Du rififi à paname, Le Tatoué, Les galets d’Étretat, Yiddish connection… et composé de nombreux succès de la chanson, notamment pour Johnny Hallyday, Sylvie Vartan les Chaussettes noires, Maurice Chevalier et Marie Laforêt…

(3) Henri Verneuil (Achod Malakian), né le 15 octobre 1920 à Rodosto (Tekirdag), dans l’Empire ottoman, est décédé le 11 janvier 2002 à Bagnolet d’un arrêt cardiaque à l’âge de 81 ans. Il repose au cimetière Saint-Pierre à Marseille. En 1934, il a la révélation en allant voir au cinéma « La reine Christine », de Rouben Mamoulian, avec Greta Garbo. Il deviendra metteur-en-scène. Bien qu’il fréquente la communauté, c’est tardivement qu’il s’implique dans la cause arménienne, au début des années 1970. Dans sa cinématographie, il procède alors par touches, notamment dans « Le Serpent » (1973), avec Yul Brynner, Henri Fonda et Dirk Bogarde, quand, dans l’intrigue de ce film d’espionnage, apparaît le Mont Ararat, côté turc. Onze ans plus tard Henri Verneuil se met à l’ouvrage pour écrire la saga familiale « Mayrig » qui apparaîtra sur les écrans en 1991, suivie de « 588, rue Paradis ».

par Jean Eckian le samedi 8 décembre 2018
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Photos Jean Eckian




 
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