Francois Rochebloine Rubrique

Responsabilité partagée Le point de vue de Francois Rochebloine


En prenant connaissance du point de vue de mon collègue Jean-Paul Bret, publié dans votre dernier numéro de juillet-août, j’ai été particulièrement surpris de lire que l’unique responsabilité de la non reconnaissance du génocide arménien relèverait de la seule responsabilité du Sénat, ce qui me paraît pour le moins facile et un peu court. Toute la démonstration de mon collègue repose sur l’idée qu’il n’existerait en faveur de cette reconnaissance, qu’un petit groupe d’élus déterminés, honnêtes et désintéressés, issu des rangs d’un même camp politique. Et ce ne serait que grâce à son action déterminante que le mur du silence qui l’entourait ait pu être abattu. A qui fera-t-on croire que cette lecture simpliste et manichéenne des événements et des enjeux en présence peut suffire à expliquer la situation actuelle ? Plus de deux ans après le vote historique par l’Assemblée nationale de la reconnaissance du génocide arménien, n’y a-t-il pas lieu de re-chercher d’autres responsabilités inavouées ? Bien sûr, l’attitude de la majorité sénatoriale est indéfendable et ne peut susciter qu’un sentiment d’incompréhension et d’injustice. J’observe toutefois que les sénateurs ne se seraient sans doute pas enfermés dans cette logique si d’autres acteurs politiques et économiques français de premier plan, n’avaient pas eux-mêmes fait le choix de ne pas mécontenter la Turquie. Certes le Sénat a tout fait à ce jour pour refuser le débat. Mais depuis quand une majorité politique et un Gouvernement sont-ils dans l’obligation de s’en remettre aux choix du Sénat ? Sous la cinquième République la répartition des rôles est parfaitement définie et à ce titre nul ne peut nier que le Gouvernement est seul maître de l’ordre du jour prioritaire des assemblées. Considérant qu’il ne saurait y avoir de place pour l’ambiguïté, et voulant dépasser ce constat, j’ai donc posé publiquement à deux reprises le problème devant l’ Assemblée nationale. Les réponses obtenues n’ont laissé guère de doutes sur le degré de volonté qui anime le Gouvernement. Jugeons-en : c’est en effet, par la voix de son ministre des Relations avec le Parlement, Daniel Vaillant, le 16 décembre 1998 que nous apprenons que le Gouvernement s’est contenté une première fois de « prendre acte de l’intention politique de l’Assemblée nationale », le Sénat ayant tout le loisir de « reprendre ou non » cette « initiative parlementaire »... Plus proche de nous, le mercredi 26 avril dernier, j’interrogeais Monsieur le Premier ministre, présent dans l’hémicycle, par une question qui se voulait simple et directe. Je me permets d’en rappeler les principaux extraits : « le 29 mai 1998, notre assemblée adoptait à l’unanimité une proposition de loi reconnaissant publiquement le génocide arménien. Près de deux années se sont écoulées, or celle-ci n’a toujours pas été inscrite à l’ordre du jour du Sénat. Nous ne pouvons bien sûr que déplorer les refus successifs de la Conférence des Présidents du Sénat, puis des sénateurs eux-mêmes, d’engager un débat sur ce texte. Le Gouvernement, de son côté, Monsieur le Premier ministre, après s’être contenté d’observer une neutralité bienveillante, s’est désormais lancé dans la logique du refus. Vous ne pouvez vous retrancher derrière le fait que, s’agissant d’une initiative parlementaire, vous ne pouvez intervenir dans le débat. Sur d’autres textes d’initiative parlementaire, comme le PACS, et bien d’autres sujets peu consensuels, vous n’avez pas hésité à faire inscrire les textes en urgence. Dois-je rappeler que vous - et vous seul- êtes maître de l’ordre du jour prioritaire du Parlement, ( ...) La France sera-t-elle la dernière nation à reconnaître le premier génocide du XXe siècle ? Certes, il n’échappe à personne qu’en cette période de cohabitation, les responsabilités du blocage actuel sont largement partagées entre Matignon et l’Elysée. Tout comme il n’échappe à personne que la France subit des pressions inadmissibles. Au lendemain de la commémoration du 85e anniversaire du génocide arménien, la France a donc le devoir de reconnaître au plus vite une évidence historique ; plus largement, elle se doit d’affirmer qu’elle est encore maître de sa politique. Aussi Monsieur le Premier ministre, ma question est simple et la réponse devrait l’être tout autant : avez-vous oui ou non l’intention de faire inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour prioritaire du Sénat ? Et si oui, à quelle date ? ». En réponse, c’est le ministre des Affaires étrangères, Hubert Vedrine, qui se chargeait d’exprimer la position du Gouvernement sur une affaire qui, à l’écouter, ne concernerait que le Parlement et lui seul. Pourquoi, Monsieur Vedrine parle-t-il aujourd’hui d’abominables massacres et non pas de génocide, alors que le même en 1983, conseiller du Président Mitterand, disait que la France se devait de reconnaître le génocide arménien. Quoiqu’en dise mon collègue Jean-Paul Bret il faut se rendre à l’évidence, la responsabilité du blocage est très largement partagée : responsabilité à la fois de celles et ceux qui ont bloqué systématiquement le processus et chercheront toujours à le bloquer, de celles et ceux qui par tradition ont pu faire preuve d’immobilisme, mais aussi de celles et ceux qui, par calcul, espéraient récupérer ou retourner une situation à leur avantage, et enfin responsabilité, sans doute sont-ils les plus nombreux, de celles et ceux qui n’ont sans doute pas su convaincre, ou de celles et ceux qui de bonne foi ont fait confiance. Je n’excuse personne, mais souhaite ramener le débat au niveau d’objectivité qu’il n’aurait jamais dû quitter. Si certains peuvent aujourd’hui se féliciter d’avoir eu l’opportunité d’obtenir un succès, là où d’autres ont hélas connu l’échec ou n’ont pas eu autant de chance, le contexte actuel devrait les inciter à opter pour davantage de retenue et de nuance.

par le vendredi 1er septembre 2000
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Francois Rochebloine est député UDF de la Loire.