Jacques Bravo Rubrique

Constitution européenne : exigences nouvelles pour la Turquie Le point de vue de Jacques Bravo


Lors de la traditionnelle allocution télévisuelle du 14 juillet, le président de la République a annoncé aux Français son intention de soumettre par référendum à la fin de l’année 2005 l’adoption du projet de Constitution européenne. Je ne peux que me réjouir de ce choix, qui correspond à la position longtemps défendue par les socialistes, de soumettre au suffrage du peuple souverain une étape essentielle de la construction européenne. En effet, je suis de ceux pour qui l’émergence d’une véritable Europe politique est un combat au cœur de mes convictions et de mon engagement public. Dans son principe, l’adoption d’une constitution témoigne d’une volonté collective de dépasser le concept de grand marché commun pour une Europe qui serait enfin reconnue comme une entité politique. C’est pourquoi le rendez-vous du référendum 2005 va bien au delà des étapes précédentes de la construction européenne, même s’il en découle. Il marquera à mon sens la naissance d’une véritable puissance seule capable de compter avec les Etats-Unis dans la conduite des affaires du monde.
Voilà pour le principe et la logique historique sur lesquels, je pense, la majorité d’entre nous se retrouveront !
Ce qui fera débat, et qui agite déjà bon nombre de responsables politiques, se rapporte bien sûr aux modalités de fonctionnement de cette entité, c’est-à-dire la capacité du projet de constitution tel qu’il nous est proposé à répondre aux enjeux d’aujourd’hui que je résumerai en trois défis :
o la capacité pour l’Europe à parler d’une seule voix sur la scène internationale et à s’y faire entendre en tant que telle ; la crise irakienne qui a vu les pays européens se diviser à l’ONU a souligné l’importance d’une telle évolution.
o la capacité pour l’Europe à créer à l’intérieur de ses frontières un espace de compétitivité économique et de protection sociale, que j’élargis à la protection de notre environnement, de notre santé, de notre vieillesse. S’il est bien à mon sens une particularité qui unit la grande majorité des Européens, c’est bien celle de ne pas opposer mais au contraire de concilier l’efficacité économique et la justice sociale.
o la capacité pour une Europe de 450 millions de citoyens, aujourd’hui de 25 nationalités et demain certainement plus encore, à disposer d’institutions qui fonctionnent à la fois au service de l’intérêt général en évitant les protectionnismes nationaux et au service de la démocratie en faisant que chaque Européen, habitant d’une petite ou grande nation, ait le sentiment d’être consulté et écouté sur chaque grande décision le concernant.
Je considère aujourd’hui que le texte qui sera proposé au vote des Français fin 2005 va proposer des avancées indéniables dans les trois domaines que je viens de citer. C’est pourquoi je me suis impliqué au sein du Parti socialiste pour le défendre, même si je suis lucide également sur les absences de ce texte qui sont autant de combats à venir. Au passage, je souhaiterais citer les avancées que représentent la création d’un poste de ministre des Affaires étrangères, le passage au vote à la majorité qualifiée, contre la règle de l’unanimité des Etats qui prévaut jusqu’à présent, dans plusieurs domaines majeurs - à l’exception notable et regrettable de la fiscalité - le rôle renforcé du Parlement européen, seule entité élue au suffrage universel directement par les Européens et surtout l’adoption de la Charte des Droits Fondamentaux, sorte de déclaration contemporaine des droits de l’homme qui rappelle notre attachement commun aux principes de liberté et d’égalité.
Ces grands principes démocratiques, s’ils sont acceptés, deviendront une exigence pour tout candidat à l’adhésion.
En effet, défenseur résolu de ce projet de constitution, j’ai été également signataire de la pétition demandant que la reconnaissance du génocide arménien soit incluse dans les critères de Copenhague fixés pour que la Turquie acquière officiellement le statut de candidat à l’Union Européenne. Au moment où j’écris ces lignes, je ne connais pas la teneur du rapport du délégué de la commission sur ce sujet qui doit être présenté début octobre, mais je ne doute pas que la commission poursuive sur le chemin de l’adhésion entamé il y a plusieurs décennies.
Nous le savons bien, et les efforts significatifs entamés par le gouvernement turc actuel montrent l’ampleur et la difficulté de la tâche, le respect des droits de l’homme est le point le plus sensible pour l’entrée de la Turquie dans l’Union. Ainsi, l’Europe en mettant en avant dans son projet de Constitution l’adoption de la charte des droits fondamentaux qui implique notamment la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression et d’information, mais aussi la liberté des arts et des sciences, nous donne l’esprit de ces critères. Il faudra demain qu’elle nous en donne la lettre. Pour moi, la reconnaissance du génocide arménien relève clairement de cette exigence. Il est un devoir fondamental pour un pays de savoir regarder avec franchise son passé et d’en assumer pleinement les responsabilités historiques, en laissant des historiens compétents travailler sur des archives, écouter des témoignages, oser le débat et la confrontation des opinions. S’agissant du génocide arménien, la Turquie d’aujourd’hui refuse cette liberté d’expression et de recherche scientifique alors qu’elle est clairement inscrite dans cette charte des droits fondamentaux qui est une des trois parties du projet de constitution européenne.
Depuis que je suis maire du IXe arrondissement de Paris, nous organisons chaque année une semaine d’animation consacrée à la culture arménienne. Quoi de plus normal pour un arrondissement où tant d’associations culturelles, sociales ou historiques arméniennes coexistent depuis l’arrivée des Arméniens en France dans les années 20 ! A chacune de ces semaines, nous revenons toujours sur le génocide et le devoir de mémoire. Nous répétons chaque année notre volonté commune que, au nom des victimes, le négationnisme cesse. J’adhère encore et toujours à ce combat, à ce refus de la résignation, parce que j’y lis une volonté de réconciliation plus que de revanche. Des lois en France doivent être votées pour que ce négationnisme-là soit condamné au même titre que les autres. C’est la proposition des socialistes français. L’Europe aujourd’hui nous propose de nous unir sur des bases de démocratie et de liberté, c’est l’objet de cette constitution. L’adopter, c’est pour moi imposer une exigence nouvelle à la Turquie : la liberté de dire enfin toute la vérité sur le génocide arménien.

par le vendredi 1er octobre 2004
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Jacques Bravo est maire du IXe arrondissement de Paris.