Juger Ankara à l’aune des valeurs de l’Europe Le point de vue de Georges Fenech
Force est de constater que l’Etat turc continue de nier le terrible génocide des Arméniens. Une rue importante d’Istanbul est toujours dédiée à l’organisateur du génocide, Talaat Pacha. Refusant de pratiquer l’autocritique et le nécessaire devoir de mémoire, les autorités turques continuent d’honorer la dépouille officielle d’Enver Pacha, autre concepteur du génocide, cependant que le nouveau Code pénal turc adopté en septembre prévoit des peines d’emprisonnement (article 305) pour toute remise en question des « avantages nationaux » incluant en particulier les questions de Chypre et du « soi-disant génocide » arménien. De même un monument de 50 mètres de haut, commémorant le « génocide » de Turcs musulmans perpétrés par les « traîtres » arméniens prorusses selon la vulgate officielle, hélas toujours en cours, continue de défier l’Arménie voisine sur sa frontière ouest avec la Turquie.
Les manuels scolaires et les déclarations publiques des responsables politiques nient toujours officiellement l’existence d’un génocide, ceci malgré les récents efforts louables d’historiens dissidents et les déclarations d’intention visant à engager un débat à ce sujet sur pression européenne. Plus récemment, début décembre 2004, Ankara a officiellement menacé de représailles la petite Slovaquie justiciable d’avoir fait reconnaître par son Parlement le génocide des Arméniens de 1915.
Pareilles menaces et pressions ont été également exercées à l’encontre des centaines d’Etats qui ont reconnu solennellement le génocide (notamment Canada, France, Suisse) ou à chaque fois que les Parlements ont officiellement décidé d’aborder la question de la responsabilité du siècle reconnu par l’ONU en 1948 et par de nombreuses commissions, d’historiens indépendants et qui fut une source d’inspiration pour Hitler lui-même, lequel se plaisait à lancer : « qui se souvient du génocide des arméniens »... Aussi les pressions négationnistes exercées par Ankara expliquent pourquoi des pays étroitement liés à la Turquie pour des raisons géostratégiques, comme les Etats-Unis ou Israël n’ont jamais pu le reconnaître, alors qu’ils le voulaient, au risque d’ébranler une alliance fragile mais nécessaire alliance stratégique.
Rappelons tout de même qu’aujourd’hui, les grandes revues et organisations juives de lutte contre l’antisémitisme comme la Revue d’Histoire de la Shoah, l’Arche, ou le Bnai Brith (Anti-difamation League) rangent le génocide arménien dans la catégorie des grands génocides de l’ère moderne avec le génocide juif et le génocide rwandais, tant la réalité historique et l’ampleur de l’horreur sont désormais indéniables et niées par le seul gouvernement d’Ankara dont on comprend d’autant moins la persistance négationniste que les gouvernements successifs de la République turque, depuis sa fondation en 1923, ne devraient pas se sentir liés par les responsabilités génocidaires d’un régime ottoman sur les ruines duquel elle s’est constituée et que Mustapha Kémal lui-même, père adoptif d’une arménienne, avait délégitimé puis combattu par les armes.
Pire encore pour les victimes du présent, Ankara refuse toujours de lever l’embargo azéro-turc qui étouffe l’Arménie enclavée (la seule frontière de ce pays lui donnant un débouché vers la mer étant la Géorgie, amie d’Ankara et gangrenée par les mafias et rackets), pays en pleine crise et dont les produits sont taxés de 30 dans l’Union européenne. Etonnamment, alors que l’Union européenne exige tant de la Turquie en matière d’harmonisation juridique, technique, de normes européennes d’hygiène et de critères politico-économiques internes, l’ouverture prochaine des négociations et l’intégration annoncée de la Turquie dans l’Europe n’ont pas été conditionnées ni par la reconnaissance officielle du génocide ni même par la levée de l’embargo sur l’Arménie, points qui ne figurent pas effectivement dans les fameux « critères de Copenhague » derrière lesquels s’abritent les officiels turcs.
© armenews.com 2024
Georges Fenech est député du Rhône et viceprésident du Comité Bassin Méditerranée-Afrique.