Haytoug Chamlian Rubrique

Le Génocide des Arméniens : un sujet d’actualité


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La Proposition de Loi criminalisant la contestation du Génocide des Arméniens est trop souvent abordée sous l’angle de l’Histoire seulement. C’est cela qui crédibilise l’argument de « Loi Mémorielle », brandi - pas toujours de mauvaise foi - par certains, à l’encontre de cette démarche législative de l’État français.

Ainsi, par exemple, à chaque fois qu’un Arménien plaide en faveur de l’adoption de la Loi en question au motif que ce serait un moyen de faire son deuil, de donner enfin un linceul aux martyrs pour qu’ils reposent en paix, etc., il contribue à son insu aux arguments les plus efficaces des opposants à cette Loi. En fait, vue sous cet angle, ladite Loi ne serait même plus mémorielle, mais plutôt thérapeutique...

Certes, l’évocation des multiples actes d’agressions récemment commis par des Turcs contre les Arméniens, en France et en Europe, ainsi que la prévisibilité de leur recrudescence et récidive, constitue une démonstration de la nécessité concrète de cette Loi. Plus, il n’est pas difficile de prévoir qu’en l’absence d’une protection adéquate de l’État, les réactions individuelles d’auto-défense - voire de représailles - qui finiraient forcément par se manifester contre ces agressions, risquent de générer une escalade dans la violence, mettant en péril la paix sociale élémentaire, ainsi que l’ordre et la sécurité publics. Mais l’analyse ne devrait pas se limiter à ce seul argument.

En effet, la situation ne relève pas de la simple erreur de « marketing », mais elle met en cause le sens profond, l’importance réelle et les corollaires fondamentaux des dispositions législatives qui viennent de franchir l’étape de l’adoption par l’Assemblée Nationale de la République Française.

À la lumière de cette problématique - dont dépend le sort ultime du Projet de Loi en question -, au moins deux observations essentielles s’imposent

1) Le négationnisme fait partie intégrante du crime de Génocide.

Yves Ternon définit ainsi cette notion : « La négation d’un génocide est une composante du crime. Elle est tissée avec le crime. C’est une stratégie de destruction de la vérité et de la mémoire. La négation est à la fois un instrument du meurtre - elle fait disparaître le cadavre - et une réaction de défense contre une accusation de meurtre. Elle est présente à tous les moments du crime, mais elle diffère selon les temps » (La problématique du négationnisme, revue L’Arche, mai 2003).

Dès lors, en vertu de la Loi en question, il ne s’agit plus de dire ou d’évoquer la lointaine Histoire ou de consigner celle-ci dans un texte législatif passif, mais bien de prévenir ou de punir, activement, un crime réel, actuel et en cours.

Cette Loi relève ainsi de la mise à jour effective des dispositions fondamentales du Code Criminel, et non pas d’un acte déclaratoire de l’Assemblée Nationale, d’un élément passif des archives parlementaires.

Cet argument juridique neutralise également toute allégation de mise en péril de la liberté d’expression. Dans une société moderne, civilisée et démocratique, aucun acte criminel ne peut être permis, cautionné ou toléré en vertu du droit à la liberté d’expression.

2) Le Génocide des Arméniens n’est pas un sujet qui appartient à l’Histoire. C’est, hélas, un sujet d’actualité immédiate.

Car les Arméniens d’aujourd’hui subissent encore le préjudice de ce Crime.

Les problèmes concrets que vivent une grande partie des Arméniens de la Diaspora sont le résultat du fait... qu’ils se trouvent en Diaspora. Or, cela ne serait pas le cas, s’il n’y avait pas eu le Génocide. Nous ne parlons pas ici de préoccupations identitaires abstraites, mais de réels problèmes de sécurité physique et de dommages matériels que subissent les Arméniens dans certains pays d’accueil (pensons par exemple au Proche-Orient), et qu’ils auraient évité s’ils avaient pu rester dans leur patrie d’origine.

Toujours au niveau de l’actualité immédiate du Génocide par opposition à son aspect historique lointain, une partie essentielle des problèmes vitaux de l’Arménie d’aujourd’hui est directement liée à ce sujet. Non seulement sur le plan des conséquences, mais en raison des événements actuels et en cours mêmes. La démarche en question de l’État français comporte à cet égard une dimension politique réelle et actuelle, visant à défendre la viabilité élémentaire de ce pays devenu résiduaire et raison du Génocide.

Cette actualité du Génocide s’inscrit dans l’urgence même, relève de la priorité la plus brûlante, sur l’agenda de la communauté internationale, dans le cas spécifique de l’Artsakh... L’une des régions les plus explosives du monde, en ce moment même.

Enfin, avant même de parler de négationnisme, le Génocide des Arméniens, au sens strict du terme, ne s’est pas terminé en 1923, et encore moins en 1917.

Continuation à ce jour de la politique systématique d’élimination de la preuve de l’existence arménienne sur les lieux du Crime, massacres contemporains à Bakou et en Artsakh, invasion de l’Arménie durant la même période récente (sans des résistants comme Monte Melkonian, la région d’Itchévan notamment aurait été perdue en quelques jours), blocus actuel de l’Arménie, agressions en cours et quasi quotidiennes contre l’Artsakh, situation périlleuse des Arméniens - déclarés ou cachés - en Turquie... Cette énumération est sommaire et partielle. Elle suffit cependant à démontrer que le Génocide des Arméniens est loin d’être un sujet du passé, un sujet dépassé.

En fonction des observations minimales exposée ci-dessus, l’argument de la « Loi Mémorielle » est tout simplement hors de propos dans le cas de la proposition de Loi pénalisant la contestation du Génocide des Arméniens.

Par contre, il conviendrait de noter que c’est grâce à des démarches de cette nature et de cette envergure que la France recouvre son prestige d’antan, à l’échelle mondiale, ainsi que la position de leader qu’elle mérite au sein de la communauté internationale.

Me Haytoug Chamlian

Montréal, 24 décembre 2011

par le dimanche 25 décembre 2011
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