Denis Donikian Rubrique

Arménie outragée - Droit bafoué


La bêtise est consubstantielle à l’obsession nationaliste

Dans la guerre larvée qu’il livre depuis vingt ans à l’Arménie, l’Azerbaïdjan voudrait avoir marqué un point en ayant réussi à rapatrier, semble-t-il à coups de dollars, puis à le gracier en l’accueillant comme un héros, l’Azéri Ramil Safarov qui assassina à coups de hache, dans son sommeil, le lieutenant arménien Kourken Markarian. Rappelons que lors des faits, en février 2004, les deux hommes se trouvaient en stage dans une école militaire de Budapest (Hongrie) dans le cadre de l’opération « Coopération pour la Paix » de l’OTAN. Le 13 avril 2006, au terme du jugement prononcé par un Tribunal hongrois, Ramil Safarov était condamné à perpétuité, avec une peine incompressible de 30 ans de prison. L’Azerbaïdjan avait essuyé un refus à chaque demande d’extradition. Mais cette fois, il aura réussi son coup, promettant par écrit à la Hongrie qu’en accord avec les conventions internationales Ramil Safarov purgerait sa peine conformément à sa condamnation. Promesse qui aura été allègrement trahie.

Que pouvons-nous dire dans l’état actuel de nos informations ? Tout d’abord que ces informations ne révèleront pas de sitôt les dessous de cette sombre tractation. Mais nous tenant à celles qui nous sont rapportées, nous devons constater que si le droit international n’a pas été respecté, c’est plutôt par l’Azerbaïdjan que par la Hongrie. Au regard des règles internationales, la Hongrie, en la personne de son président, était tout à fait autorisée à extrader Ramil Safarov vers son pays d’origine après avoir obtenu les garanties nécessaires pour le respect du verdict prononcé par ses tribunaux. Mais la Hongrie n’aurait-elle pas péché par naïveté en croyant que le président Aliev allait tenir sa parole. On a du mal à croire qu’elle ignorait que pour lui tout est bon pour se venger, fût-ce en portant ses coups sur le moral du peuple arménien, diaspora comprise. Par ailleurs, le tort de la Hongrie est, semble-t-il, d’avoir pris en catimini la décision de cette extradition, sans en avoir référé au moins à ses partenaires européens, encore moins aux Etats-Unis. Dès lors, c’est l’Europe entière qui, dans l’esprit des Arméniens, devra supporter cette tache. (On aura même entendu un histrion mi-français mi-arménien dire, à ce propos, que les Européens étaient capables de vendre leur mère pour quelques kopeks.) Qui sait d’ailleurs si ce discrédit porté contre l’Europe ne serait pas une petite vengeance de Victor Orban à l’égard de ceux qui l’auront jugé peu démocrate et encore moins fidèle à l’esprit européen. Le fait que son gouvernement ait jugé après coup inacceptable la grâce de Ramil Safarov ne nous empêchera pas de le penser. D’autant que la démocrature de Victor Orban avait tout ce qu’il faut pour s’entendre avec la pétrocratie d’Ilham Aliev. En ce sens, les Arméniens auraient tort de s’en prendre au peuple hongrois en son entier dans la mesure où il n’est pas partie prenante des décisions de son président autocrate. C’est à Victor Orban et à lui seul que doivent s’adresser l’indignation et la colère du peuple arménien. Brûler le drapeau national de Hongrie serait englober dans un même opprobre tous ces Hongrois qui ont honte aujourd’hui de cette extradition assortie d’une grâce.

Le cas de l’Azerbaïdjan diffère de l’équation hongroise en ce sens que les Azéris, dans leur grande majorité, sont soudés au sein d’une même fureur anti-arménienne, solidaires de leur dictateur tant qu’il demeure l’orchestrateur de la haine contre l’Arménie. En effet, l’héroïsation de Ramil Safarov semble bien avoir été d’autant mieux accueillie que cette haine constitue un facteur clé de la culture azérie actuelle. En graciant son héros, Aliev a ainsi galvanisé son peuple au point de le détourner des effets pervers de sa propre dictature. C’était tout bénéfice pour lui.

Par ailleurs, pourquoi s’indigner de cette grâce présidentielle tout à fait prévisible ? L’Azerbaïdjan n’aura agi qu’en accord avec sa politique de non-droit, assortie de son fiel anti-arménien, qui a cours en ces temps de ni guerre ni paix mais où tous les coups sont permis, surtout les plus sales ? Nous savions qu’il a l’art de mener sa guerre morale de lâche, conscient qu’il aurait beaucoup à perdre en cas de confrontation physique. L’affaire de Ramil Safarov est le dernier acte d’une longue liste de crimes impunis comprenant la destruction des khatchkars du cimetière de Djoulfa et les incessants tirs aux pigeons arméniens par ses snippers sur la ligne du front. Mais cette fois, il semblerait que la coupe soit pleine et que l’Arménie, qui aura respecté l’accord de cessez-le-feu signé en mai 1994 avec la médiation russe, pourrait assumer le risque de ne plus rester les bras croisés. Et si le président Sarkissian ne s’est pas montré très brillant dans la gestion économique du pays, on peut lui faire confiance pour porter des coups décisifs à l’Azerbaïdjan. Car l’autre erreur d’Aliev, c’est justement d’avoir réussi à cristalliser le sentiment patriotique non seulement des Arméniens d’Arménie, mais aussi de sa diaspora. Celle-ci ne manquera pas désormais, chaque fois que l’occasion se présentera, en privé, en public ou auprès des instances internationales, de s’appuyer sur cette affaire de grâce présidentielle inappropriée pour mentionner la voyoucratie azerbaïdjanaise.

En effet, ce coup de grâce à la hache, c’est l’image même de l’Azerbaïdjan au plan international qui le subira. Fort de son pétrole, mais faible de parole, ce pays vient de perdre la bataille de la crédibilité au profit de l’Arménie. C’est que par ce geste, le président Aliev, en cédant, contre toute raison, à son obsession nationaliste aura commis une bêtise aussi monstrueuse que l’acte criminel de Ramil Safarov. Les pays fondés sur le droit viennent d’avoir la preuve que si les Arméniens du Haut-Karabagh retournaient dans le giron de l’Azerbaïdjan, ils risqueraient de se faire découper par les bouchers azéris avec la bénédiction de leur bourreau en chef. De fait, Ramil Safarov n’est pas un fou sanguinaire isolé, mais le produit d’une société atteinte par la pathologie du crime raciste comme elle l’a déjà démontré à plus grande échelle et en maintes occasions, à l’exemple des pogroms de Soumgaït (février 1988), de Kirovabad (novembre 1988), de Bakou (1990), de Maragha (1992). C’est dire, mais encore faudrait-il que les Européens puissent enfin l’entendre, que le contentieux arméno-azéri, à l’heure actuelle des faits, est une affaire d’incompatibilité entre deux peuples voisins. C’est dire aussi que le conflit du Haut-Karabagh loin de s’apparenter à une conquête expansionniste, fut une guerre de protection. Les Arméniens de cette enclave ont décidé par les armes de protéger leurs vies, leurs foyers, leurs biens, leur liberté, leur culture. Merci Aliev de l’avoir dit au monde entier si haut et si fort.

Denis Donikian

P.S. La bêtise nationaliste n’ayant pas de frontière, il est malheureux que des Arméniens n’aient pas suffisamment raison gardé en affichant sur un même panneau les figures d’Ilham Aliev et de... Rouben Hayrapétian, propriétaire du restaurant Harsnakar dans lequel fut tabassé à mort le médecin militaire Vahé Avétian. Gare aux débordements, aux amalgames, aux contagions de groupe dans ce genre d’affaire. L’indignation oui, mais dans la dignité.

par le mardi 4 septembre 2012
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