MAITRE HAYTOUG CHAMLIAN Rubrique

La Cause Arménienne ne se borne pas au Droit


Au-delà de l’indignation, voire le dégoût qu’il suscite, le Jugement récemment rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’affaire Perinçek c. Suisse est également une bonne occasion pour nous regrouper, nous ressaisir.

(Dans ce point de vue, nous ferons abstraction des considérations politiques probablement sous-jacentes de cette affaire, dont la synchronisation chronologique avec la décision de la République d’Arménie de ne pas se soumettre au projet d’association avec l’UE, conjuguée à d’autres précédents similaires, ne peut que nous inciter à y déceler une mesure de représailles.)

Quoi qu’il en soit, il est temps de constater que le négationnisme à l’encontre du Génocide des Arméniens ne peut être valablement attaqué, en Droit, sous l’angle du racisme ou de la diffamation, ni celui de l’incitation à la haine.

Pour ce qui est du racisme, il est même difficile de trouver des éléments d’analyse... en fait, cette notion éculée, galvaudée au point de devenir insignifiante, est surtout utile pour nous attaquer bassement, nous, les victimes du génocide, et ce, en raison du ressentiment que nous oserions exprimer parfois à l’égard de la descendance - de surcroît, massivement négationniste - des bourreaux sadiques de nos parents, ainsi que des bénéficiaires et profiteurs du butin du génocide.

Pour la diffamation, la seule théorie juridique qu’on pourrait faire valoir se fonderait sur le fait qu’on traite de menteurs les victimes d’un génocide, à commencer par les rescapés directs. Cela risque de ne pas aboutir à grand-chose, dans l’état actuel des choses.

Pour ce qui est de l’incitation à la haine, la confusion provient des cas de négationnisme au sujet du Génocide des Juifs. Or, lesdits cas impliquent implicitement, - ou encore, ils comportent souvent expressément, en sus, en tant que propos supplémentaires -, un antisémitisme actif - et universel -, visant et aspirant à éradiquer les Juifs partout et en tout, en tant que source ultime des malheurs du monde et de l’humanité, etc. (bref, la sinistre fantasmagorie d’usage). Nous n’en sommes pas là.

En ce sens, il y a donc une différence entre le négationnisme à l’égard de la Shoah et celui à l’égard du Méds Yéghern. Le négationnisme turc est, en définitive, un moyen de défense limité, alors que le négationnisme judéophobe n’est qu’un élément d’un appel à la persécution, à l’échelle mondiale.

Toutes ces observations ne signifient pas pour autant que la voie du Droit devrait être négligée ou délaissée, dans notre combat.

Que pourrions-nous faire, alors ?

Pour répondre à cette question, il faudra d’abord faire la distinction entre un recours civil et un recours criminel.

En l’absence d’un texte législatif clair et spécifique, on voit bien que des poursuites sur le plan pénal n’ont pas de fondement juridique. L’objectif sera donc de faire promulguer une Loi à cet égard, dans les pays où cela est faisable, à commencer par la France. Notons que c’est également ce pays qui a initié le mouvement d’affirmation de la véracité du Génocide des Arméniens, sur la scène principale de la communauté internationale.

Au niveau civil, cependant, il existe la possibilité d’un recours en dommages-intérêts, en responsabilité civile, pour faute délictuelle, incluant le cas échéant une demande d’injonction (ou des mesures équivalentes, selon le pays).

En attendant que les autorités publiques de nos pays d’adoption assument leurs responsabilités en la matière, en attendant aussi que l’État arménien lui-même soit en mesure d’agir en la matière, nos recours juridiques devront donc s’exercer à titre privé.

Il est cependant possible d’élargir quelque peu le champ d’action judiciaire pour aller au-delà des recours individuels, soit au moyen de recours collectifs, soit en procédant par voie d’organismes représentatifs.

Rappelons que le Jugement obtenu contre Veinstein est de nature civile, et non pas pénale. Mais le recours n’était pas abordé sous l’angle et sur les bases esquissés ci-dessus.

Finalement, ce qui importe surtout, c’est de réaliser qu’il faut éviter de cantonner la Cause Arménienne dans un registre seulement, quel qu’il soit ; en l’occurrence, le Droit.

C’est une vieille leçon, certes qui remonte au discours de Khrimyan Hayrig suite à la déception du Congrès de Berlin de 1878, lorsqu’il expliqua au peuple arménien que pour obtenir sa part de la soupe lors de tels partages de droits internationaux, il faudrait avoir une louche en fer, et non pas en papier - en référence aux documents dont nous espérions obtenir l’exécution lors dudit Congrès - .

Le Jugement de la Cour Européenne a l’avantage de nous rappeler et d’actualiser cette ancienne leçon.

Nous devons mener notre combat sur tous les fronts, simultanément, sans relâche et avec la même ténacité. Et surtout, dans une perspective permanente. Car il ne se terminera pas, même après l’admission du génocide par la Turquie, ni même après les restitutions et réparations.

Me Haytoug Chamlian, Canada

19 décembre 2013

par le vendredi 20 décembre 2013
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