MANOUG ATAMIAN Rubrique

Monsieur MARTIN- CHAUFFIER , Vous n’avez pas honte ?  par Manoug ATAMIAN


le 4 juin 2015

Lettre ouverte adressée à Monsieur Gilles MARTIN - CHAUFFIER

Rédacteur en chef à PARIS MATCH

MONSIEUR MARTIN- CHAUFFIER , VOUS N’AVEZ PAS HONTE ?

Monsieur,

Il y a exactement deux ans, éclatait à Istanbul la révolte de la Place Taksim qui allait embraser la Turquie pendant plusieurs semaines. Curieusement, tandis que l’évènement était à la une de la plupart des journaux français pendant des jours et des jours, le Paris Match du 6 juin 2013 ne publiait à ce sujet qu’une photo en double page avec quelques lignes de commentaires. C’est ce qui me décidait à rédiger un article intitulé : PARIS MATCH : “ le poids des mots, le choc des photos “ mais en pratique, deux poids, deux mesures “. Cet article a été publié sur le site Nouvelles d’Arménie en ligne. Je voulais vous en adresser une copie, mais le responsable du site m’a dit qu’étant diffusé sur internet, mon écrit vous parviendrait inéluctablement, d’autant plus que c’est vous-même que je mettais en cause. Je ne sais si vous l’aviez lu. Quoi qu’il en soit, c’est votre chronique du 12 janvier 2012 intitulée « L’Arménie en larmes “ que je visais et dans laquelle je découvrais votre profonde haine à l’encontre des Arméniens, et qui ne datait pas de la veille, comme je le constatais en lisant votre livre « le Roman de Constantinople ».

En privé, vous avez le droit de haïr qui vous voulez, mais lorsque vous utilisez votre chronique littéraire pour exprimer avec vos arguments distordus et parfois à l’aide de contre-vérités, votre hostilité déclarée à toute une communauté et même à tout un peuple, vous dépassez les bornes. Bien évidemment, et vous n’êtes pas le premier hélas, c’est votre turcophilie exacerbée qui explique tout cela, car les gens comme vous, contaminés par la propagande négationniste de l’Etat turc, associent constamment à leur amour pour tout ce qui est turc, la haine de tout ce qui est arménien.

Ainsi votre chronique de janvier 2012, agrémentée d’une caricature ignoble, du même genre que les caricatures antisémites de jadis, démontrait vos talents de polémiste haineux. Je vais vous rappeler quelques lignes de votre prose. Voici entre autres méchancetés, ce que vous écriviez au sujet de l’Arménie : « mariée à l’Apocalypse, elle se prend pour la Terre sainte ». Et la Turquie « qui ne la voit que comme une petite nation acariâtre, en deuxième division, oubliée sur le banc des remplaçants et pour finir, assommante ». Ainsi, écrivais-je, après avoir opprimé, et de quelle façon, le peuple arménien pendant des siècles, pour finir par exterminer les deux tiers de sa population, tout en niant bec et ongles depuis près de 100 ans la réalité du crime, il fallait le faire ! Et le Turc le plus hostile aux Arméniens n’aurait pas mieux fait.

Depuis lors, nous sommes entrés dans l’année du Centenaire du Génocide des Arméniens, et grâce à une conjonction d’évènements heureux, ce que j’appelle « le Vent solaire de la Vérité » a tout balayé et tous les partisans plus ou moins avoués de la thèse turque mensongère se sont tus. On n’entend plus Alexandre Adler, membre éminent de l’Institut du Bosphore (que je préfère surnommer l’Institut du Phosphore, avec toutes les grosses têtes qui y sont...) et que j’ai vu un jour à la télévision oser dire, avec un sourire en coin et mot pour mot : « il ne faut pas oublier que les Jeunes-Turcs, qui n’ont pas fait que des bonnes choses, avaient pour devise Liberté - Egalité - Fraternité ! ».

Pas plus que l’éminent académicien Pierre Nora, toujours satisfait de lui-même, avec son comité « Liberté pour l’Histoire » indifférent ou dubitatif quant à la réalité du génocide de 1915, et lequel osa dire à France Inter le 12 octobre 2011 à ce propos : « Si vous écrasez trois mouches, on peut aussi vous parler de génocide ». Il y avait aussi un certain Gilles Veinstein, péniblement élu à la Chaire d’Histoire turque et ottomane, mais il n’y a pas très longtemps, Talaat Pacha, le Himmler turc, l’a rappelé à Lui...

Et qui reste-t-il en France pour continuer à défendre l‘indéfendable ? Vous-même Monsieur Martin-Chauffier et vous l’avez prouvé récemment à deux reprises. La première courant avril, dans l‘émission d’information quotidienne « 28 minutes » sur la chaîne Arte, où vous avez persisté dans votre désinformation, sous le regard goguenard des journalistes participants au débat, car aucun d’entre eux n’accordait visiblement foi à votre argumentation laborieuse, et au cours de laquelle vous avez proféré deux énormes contre-vérités. Tout d’abord en prétendant qu’au Traité de Sèvres, les Arméniens obtinrent un immense territoire, et vous avez posé deux fois la question : « et pourquoi ont-ils obtenu cela, hein ? », sous-entendu pour prix de leur trahison pendant la guerre vis-à-vis de l’Etat ottoman.

Or, toute votre argumentation est fausse, car premièrement, l’arbitrage du Président Wilson n’accorda pas « une Arménie immense comme aucun rêve (ni aucun cauchemar) n’avait osé l’imaginer » comme vous l’écriviez déjà dans votre « Roman de Constantinople ». Ce sont seulement 90.000 km2 qui furent alloués, en plein terroir arménien de toujours, avec les villes de Van et d’Erzeroum, plus un débouché sur la Mer Noire. Rien d’immense ni d’extravagant, sauf pour des nationalistes turcs, ou des « plus royalistes que le roi » ou plutôt, un plus Turc que les Turcs comme vous. Par conséquent, ou bien vous ne connaissez pas le dossier, ou bien vous tentez sciemment de manipuler les faits à votre convenance.

D’autre part, les Arméniens ottomans ne trahirent nullement leur pays. Bien au contraire, des centaines de milliers d’entre eux furent mobilisés et se battirent loyalement dans les armées turques, du Caucase aux Dardanelles. Enver Pacha, le ministre de la Guerre, le reconnut lui-même en février 1915 et c’est grâce à un soldat arménien qu’il eut la vie sauve, après sa cuisante défaite de Sarikamish. Et quel en fut la récompense ? Dans les mois suivants, ils furent désarmés puis lâchement tués, car cela faisait partie du plan d’extermination en cours d’exécution. Alors, Monsieur Martin-Chauffier, qui a trahi qui ? Qui sont les assassins et qui sont les victimes innocentes ? Et quel peuple se retrouve aujourd’hui dans la région avec plus de 70 millions d’habitants et quel autre avec seulement 3 millions, dont à peine quelques dizaines de milliers dans la Turquie actuelle. Et après tout ce qui s’est passé, qui a le culot de prétendre que ce sont les Arméniens qui ont massacré les Turcs, ou bien que les tueries furent réciproques et autres balivernes ? Et vous, vous n’avez pas honte de vous faire le complice de cette propagande mensongère, mais bien au contraire, vous avez ces dernières années « persisté et signé » !

Deuxièmement, à la fin de votre intervention, vous avez prétendu que les responsables de massacres condamnés furent maintenus en prison sous le régime d’Ataturk.

Encore un mensonge, puisqu’ils furent au contraire libérés pour rejoindre la rébellion kémaliste et que de toute façon, le Traité de Lausanne accorda une amnistie générale pour toutes les exactions perpétrées entre 1914 et 1923, une prime au crime en quelque sorte... Un certain Adolf Hitler s’en souvint, qui devait déclarer à son Etat-major à la veille du Second conflit mondial, et comme pour justifier ses crimes à venir : « Qui donc parle encore aujourd’hui de l’extermination des Arméniens ? ».

Votre dernier « chef d’œuvre » c’est votre chronique du 7 mai à propos du livre de Valérie Toranian, que vous avez rageusement intitulé « Les p’tits papiers d’Arménie brûlent encore », car c’est le plus souvent par la critique d’un ouvrage à thème arménien que vous développez tout votre art plein de fiel. Et dans cet article, je dois reconnaître que vous vous êtes surpassé dans la subtilité de votre haine anti-arménienne, aussi je vais laisser le lecteur en juger, car il serait fastidieux ici d’en décortiquer le mécanisme,
A la fin du 19e et au début du 20e siècle, pendant la période cruciale de la Question arménienne, il y avait en France un écrivain célèbre nommé Pierre Loti qui inlassablement a mis son talent au service de la propagande mensongère de la Turquie, à travers ses trois régimes successifs, aux dépens de la véracité des faits.

Monsieur Martin-Chauffier, vous êtes le Pierre Loti du XXIe siècle, mis à part le génie littéraire.
Le jour du Centenaire du Génocide, le 24 avril 2015, je me trouvais à Istanbul - Constantinople en compagnie de milliers d’Arméniens du monde entier, ainsi que de Turcs, de Kurdes et de personnes d’autres origines venues partager notre peine. Ma mère est née dans cette ville en 1912, et bien qu’ayant vu le jour à Paris, j’ai retrouvé là-bas une partie de mes racines. L’oncle de ma mère, le poète Siamanto, aussi connu chez les Arméniens qu’un Victor Hugo, fut l’une des plus illustres victimes du 24 avril. Lors de la commémoration, nous suivîmes ses pas et ceux de ses compagnons d’infortune, depuis leur lieu de détention jusqu’à la gare de Haydar Pacha, d’où ils furent déportés vers leur destin tragique ; car ce sont les poètes dont on a voulu en premier - et à jamais - étouffer la voix.

Docteur Claude Manoug ATAMIAN

par le vendredi 5 juin 2015
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photo d’Armand Franjulien