MANOUG ATAMIAN Rubrique

Les Armistices de 1918 et nous (1)


Et nous y voilà, après les quatre années de guerre mondiale que nous venons de vivre ( à un siècle de distance, mais comme dit la chanson, quand on aime (l’Histoire), on a toujours vingt ans ! ( l’âge d’être mobilisé…) Personnellement, avec la carte IGN 1914-1918 fixée sur le mur de ma bibliothèque depuis 2014, j’ai suivi au mois près les évènements du Front ouest, en y apposant au fur et à mesure du 100e anniversaire de chaque grande bataille sur le sol de France, les blocs de timbres commémoratifs de la Poste dès leur parution : La Marne, Verdun, Vimy, le Chemin des Dames etc.

Voici donc venu le temps pour les ennemis des Français et des « Etats alliés et associés », de jeter l’éponge et donc de signer un armistice. Comme chacun sait, ce sont les quatre « Puissances Centrales » qui, l’une à la suite de l’autre, à bout de force(s) dans tous les sens du terme, se virent contraintes de subir cette humiliation et de reconnaître leur défaite, malgré tant de sacrifices consentis et de nombreuses tentatives pour terrasser leurs adversaires.

Au moins deux de ces nations vaincues, l’Allemagne et la Turquie, eurent en effet recours aux pires moyens pour forcer la victoire : du côté allemand, massacre de civils dès l’invasion de la Belgique, utilisation de gaz de combat, maltraitance et exploitation des populations de territoires occupés, guerre sous-marine à outrance etc. et du côté turc, « le crime des crimes », que l’on qualifiera plus tard de génocide, sans oublier leurs autres crimes contre l’humanité, comme la Grande famine du Liban. Et bien que tous invoquèrent leur Dieu ( « Gott mit uns » ) ou Allah ( avec la proclamation du Djihad ) pour espérer abattre leurs ennemis, en 1919 pendant la Conférence de la Paix, Clemenceau eut beau jeu de rétorquer à la délégation du nouveau gouvernement ottoman qui tentait d’imputer aux seuls Jeunes-Turcs athées et donc « anti musulmans » la responsabilité des massacres, qu’il ne voyait pas en quoi la religion pouvait être invoquée dans cette guerre, dans laquelle « l’Allemagne protestante, l’Autriche-Hongrie catholique, la Bulgarie orthodoxe et la Turquie musulmane » avaient combattu du même côté !
Pour en revenir à mon sujet principal, je propose donc de commencer ici une série de quatre articles, dont chacun paraîtra autour du jour centenaire de chaque armistice, soit successivement :

-  Le 29 septembre, avec la Bulgarie, le premier Etat qui met bas les armes en envoyant ses plénipotentiaires à Salonique devant le général Franchet d’Esperey victorieux. L’armistice signé peu avant minuit, devait prendre effet le lendemain 30 septembre à midi. (voir plus bas)

-  Le 30 octobre, c’est au tour de l’Empire ottoman, dont les représentants sont convoqués à Moudros dans l’île de Lemnos, pour reconnaître leur défaite face à l’amiral anglais Calthorpe commandant la Flotte britannique en mer Méditerranée.

-  Quelques jours plus tard, le 3 novembre, l’Autriche-Hongrie en cours de dislocation, signe sa reddition à Padoue dans la Villa Giusti, en souscrivant aux exigences de l’Italie irrédentiste.

-  Et enfin notre 11 novembre, avec les plénipotentiaires teutons conduits dans le célèbre wagon de la clairière de Rethondes, en présence du Maréchal Foch auréolé de gloire et des représentants des armées alliées. Sur la dalle commémorative sculptée à proximité du wagon, le passant peut lire : « Ici fut terrassé le criminel orgueil du militarisme allemand ».

Pour chacun de ces armistices, j’en rappellerai à chaque fois le contexte et les principaux faits, mais je ne relaterai pas le déroulement chronologique des évènements, que l’on peut retrouver sur internet ou dans les ouvrages spécialisés, comme le livre du remarquable historien Jean-Yves Le Naour : « 1918, l’étrange victoire », que j’ai utilisé à côté de quelques autres, comme pour ce premier article celui de Max Schiavon intitulé « Le Front d’Orient », d’ailleurs cité par J.Y.Le Naour. Je vais plutôt ajouter ici un point de vue personnel, celui d’un natif de Paris, mais dont les parents viennent de cet ailleurs qu’on dénomme le yerguir, « the Lost Paradise », et dont l’Histoire devint très tôt la matière préférée, d’abord à l’école communale puis au Collège mékhitariste de Sèvres, donc intéressé par les deux Histoires, autrement dit, d’un Arménien de la diaspora ayant la passion du passé et tout aussi séduit par la figure de Tigrane le Grand que par l’épopée de Napoléon.
Venons-en au premier armistice, signé voilà juste un siècle par la Bulgarie,
S’il y a un peuple qu’il est difficile de détester, même à la fin de la Grande Guerre, que l’on soit Arménien ou Franco-arménien comme vous voudrez et même Français tout court, c’est bien celui-là ! Pour les Arméniens, la Bulgarie a toujours été un pays fraternel, qui a subi pendant des siècles le même joug turc, avec d’autres points communs plus positifs, comme la proximité de leur musique classique ancienne avec la nôtre, ce que j’ai appris en visitant ce beau pays. Pendant la tyrannie d’Abdul-Hamid, c’est chez les Bulgares, qui venaient d’être libérés suite à la guerre russo-turque de 1877-78, que les révolutionnaires arméniens pouvaient se réfugier et même ourdir certaines de leurs actions. La plus spectaculaire fut la préparation en 1905, en réponse à de nouveaux massacres, de l’attentat contre le « Sultan Rouge » par Christapor Mikaelian, l’un des fondateurs de la F.R.A., assisté par quelques partisans. Malheureusement, suite à une explosion malencontreuse, Christapor en fut la première victime. ( l’attentat eut quand même lieu quelques mois plus tard, mais « le Grand Saigneur » en réchappa). D’autres purent librement imprimer leurs journaux à Plovdiv ou à Sofia, comme le « Razmig » publié par l’écrivain Roupen Zartarian dès 1906, dans lequel il dénonçait la politique criminelle d’Abdul-Hamid. Plus tard pendant le génocide de 1915, c’est en Bulgarie que l’écrivaine Zabel Essayan, la seule femme figurant sur la liste du 24 Avril, put se réfugier en soudoyant le policier turc à la frontière. Elle y constitua un comité pour tenter d’agir contre l’irréparable. ( Gostan Zarian, l’auteur du « Bateau sur la montagne », écrira par la suite quelques pages sarcastiques sur son activisme) C’est en faisant passer en Bulgarie les nouvelles concernant le génocide en cours d’exécution que Chavarch Missakian (avant d’être arrêté par la police d’Istanbul en 1916, suite à la dénonciation d’un indicateur vendu aux Turcs…d’origine bulgare !) informait les journaux arméniens locaux, lesquels purent alerter la diaspora de l’époque et les Arméniens du Caucase, avant que les troupes russes et les brigades de Volontaires arméniens n’aient conquis la région et découvert la réalité de l’extermination.
La Bulgarie n’est entrée en guerre qu’en octobre 1915, après bien des hésitations pour choisir son camp. Sa revendication essentielle concernait la Macédoine, majoritairement bulgarophone, pour laquelle, après avoir le plus durement combattu les Turcs pendant la Première Guerre balkanique en 1912 aux côtés des Grecs et des Serbes (sans oublier Antranig et Nejdeh, avec leurs Volontaires arméniens) et même conquis la ville d’Andrinople, elle se retourna l’année suivante contre ses anciens alliés ( la Seconde Guerre balkanique). En effet, durant le premier conflit, tandis que l’armée bulgare fonçait sur Constantinople, la Serbie s’était emparée de la Macédoine qu’elle partagea avec la Grèce. Mais dans cette nouvelle guerre, les Bulgares, qui plus est attaqués « dans le dos », c’est-à-dire du nord par la Roumanie, perdirent vite pied et signèrent en août le Traité de paix de Bucarest, en ne conservant qu’un étroit débouché sur la mer Egée, et sans la Macédoine, leur Alsace-Lorraine en quelque sorte. (voir notes 1 et 2)

La décision finale des Bulgares de se battre du côté des Puissances Centrales est essentiellement due à l’intransigeance des Serbes, qui n’acceptèrent aucune concession territoriale concernant cette Macédoine, fiers d’avoir contenu à eux seuls les Austro-Hongrois devant Belgrade depuis le début de la guerre. ( N’oublions pas que suite à l’attentat de Sarajevo, c’est ce conflit qui est à l’origine de l’engrenage fatal aboutissant à la déflagration générale ! ) Dans ses mémoires sur la Grande Guerre intitulées « The World Crisis », Winston Churchill fustige à plusieurs reprises l’attitude de la Serbie, dont les conséquences furent tragiques, et en premier lieu pour son peuple. En effet, après avoir reçu de l’Allemagne l’aide nécessaire en armes, en charbon, etc. une armée bulgare forte de 150.000 hommes déferla sur les arrières des Serbes, dont tout le dispositif s’effondra. Les débris de leur armée, avec à sa tête son valeureux roi Pierre, n’eurent plus le choix que la fuite vers le sud, une retraite épouvantable dont le célèbre journaliste Albert Londres fut le témoin. Après avoir traversé l’Albanie dans une marche surnommée justement « le Golgotha albanais », les survivants se réfugièrent avec l’aide des Français sur l’île de Corfou. Les Bulgares purent ainsi annexer toute la Macédoine slave.

Mais en 1918, la situation se renversa. Les trois Etats alliés de la Bulgarie étaient au bord de l’épuisement et l’armée bulgare avait perdu son allant. Une armée alliée installée à Salonique dès septembre 1915, au début de taille modeste, regroupait à présent 400.000 soldats sous le commandement de l’énergique Général Franchet d’Esperey, qui passa à l’attaque le 15 septembre sur l’ensemble du Front. Grâce à une stratégie habile et à plusieurs manœuvres hardies dans les montagnes et les vallées, dont la célèbre Vallée du Vardar, les forces bulgares, malgré un encadrement allemand et l’appui de leur XIe armée, furent rapidement débordées et durent constater leur complète déroute. Il faut noter en particulier la dernière charge de cavalerie de l’armée française commandée par le neveu de Gambetta, le colonel Jouinot-Gambetta, qui va conquérir Uskub (l’actuelle Skopje) et atteindra finalement le Danube, une course de 800 kilomètres ! La XIe armée allemande, forte de 70.000 soldats, sera aussi capturée, avec tout son matériel. Tirant les conséquences de leur situation, les autorités bulgares demandèrent donc un armistice qui fut signé à Salonique le 29 septembre devant le chef de l’Armée d’Orient, le futur Maréchal Franchet d’Esperey, qui « oublia » d’inviter les Britanniques et les autres Alliés à l’acte de signature. (Les Anglais s’en souviendront pour la fois suivante…) Les Bulgares durent une nouvelle fois renoncer à leur chère Macédoine et accepter l’occupation de leur pays, sauf Sofia. Ils perdirent aussi le débouché sur la mer Egée au profit de la Grèce, ce que le Traité de Neuilly entérinera en 1919 et leur roi Ferdinand dut abdiquer en faveur de son fils Boris. Cette première reddition de l’un des adversaires des Alliés annonça la fin prochaine de la guerre et fut bientôt suivie par celle des trois autres nations ennemies.

Rendez-vous le 30 octobre pour assister à la défaite de la Turquie.

Manoug ATAMIAN

Notes :

1. Enver qui venait de commettre un coup d’Etat en assassinant le ministre de la Guerre, profita de cette occasion pour reprendre facilement Andrinople (en turc Edirné) et acquérir ainsi une renommée usurpée, qu’il conservera même après sa catastrophique défaite de Sarikamish en janvier 1915, où toute son armée fut anéantie face aux Russes, et il ne dut sa survie qu’à l’aide d’un soldat arménien ottoman.

2. D’ailleurs, cette question est toujours d’actualité, et précisément ces jours-ci avec le référendum dans la Macédoine indépendante issue de l’éclatement de la Yougoslavie, concernant la dénomination officielle du pays comme « Macédoine du Nord ». Car les Grecs qui possèdent le sud de cette région, sont aussi arcboutés sur cette question macédonienne et ont empêché jusqu’à présent Skopje d’adopter le nom du pays d’Alexandre. En effet, il y a quelques années, des manifestations monstres et répétées à Athènes avaient contraint le gouvernement grec d’exiger que ce nouvel Etat se présente devant l’Organisation des Nations unies sous l’acronyme de FYROM c.à.d. « Former Yougoslavian Republic of Macedonia ». On assiste là à une confusion historique, puisque la Macédoine, il est vrai hellénisée, a toujours été distincte de la Grèce, mais comme Alexandre le Grand, dont le père Philippe II roi de Macédoine avait conquis leur pays, et que par la suite, Alexandre a diffusé l’hellénisme dans tout l’Orient, y compris l’Arménie, les Grecs le considèrent comme le plus glorieux personnage de leur histoire et par conséquent, la Macédoine est terre grecque ! Sauf qu’entretemps, cette région s’est en grande partie slavisée, avec une langue très proche du bulgare…D’où l’imbroglio qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui.

par Stéphane le samedi 6 octobre 2018
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