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« Tout est mal qui finit pire encore » : la tragédie rock de Simon Abkarian


Après l’accueil du Dernier Jour du jeûne et de L’Envol des cigognes, diptyque honoré par le Syndicat de la Critique, du Prix 2019 de la meilleure création d’une pièce en langue française, le Théâtre du Soleil renouvelle son intime collaboration avec Simon Abkarian, à l’occasion de sa nouvelle création : Electre des bas-fonds.

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Ici, Simon Abkarian en plein travail avec Frédérique Voruz.

Ce spectacle est conté comme une fable, mais à l’envers. Ici la présence du chœur donne sa puissance aux histoires individuels. Les musiques jouées sur scène, rock’n’roll et blues, sont les poumons du récit. La danse, elle, continue là où s’arrêtent les mots.

Nous sommes dans le quartier le plus pauvre d’Argos. C’est le premier jour du printemps, on y célèbre la fête des morts. Prostituées, serveuses, esclaves, les femmes se préparent pour le grand soir. Les meilleurs musiciens sont là. La fête va se refermer comme un piège sur Clytemnestre et son amant Egisthe. À force de prières, Électre a fait revenir le frère vengeur, Oreste.

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Quand la pièce commence, Électre vit une fable mais à rebours. De princesse, elle est devenue servante dans un bordel. Mariée à un homme de la plus basse condition, elle garde farouchement sa virginité et se comporte tel un chevalier des temps médiévaux qui se veut pur dans sa quête. Blanche neige et La Belle au bois dormant, après sévices et brimades, après tortures et tentatives de meurtre, finissent par triompher. Elles épousent un prince et retrouvent le statut social qui leur revient de droit. Tout est bien qui finit bien. Électre, elle, est orpheline, dépossédée de son père, de son destin, de son rang, de son corps, de sa sexualité. Électre est deux fois bannie. Elle est privée de sa condition et de son nom. Elle est un fruit qui pourrit au pied de sa jeunesse. Personne pour la ramasser. Les attributs qui sont l’apanage de ceux qui sont bien nés lui sont confisqués. Désormais, Électre n’appartient qu’à sa haine. Elle renait des cendres de son père et, à moins que ne revienne son frère Oreste, elle tentera de tuer le tyran ou s’en retournera là où gisent ceux qui n’existent pas. C’est dans le deuil que se reconstruit Électre. Elle danse et chante sa colère jusqu’à l’obsession, jusqu’à en devenir obscène. Là où vit Électre, il n’y a pas de dieux. Il y a la nuit qui n’en finit pas de tomber sur les damnés de ce monde. Tout est mal qui finit pire encore.

La musique est en centre de cette tragédie rock’n’roll. La danse continue également là où s’arrêtent les mots. C’est le trio Les Howlin’ Jaws (dont le leader n’est autre que Djivan Abkarian, fils de Simon) qui créé ici un espace poétique profond, grâce à l’utilisation de nombreux instruments.

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Claire Barbuti

Electre des bas-fonds
Théâtre du Soleil - 2 Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris
Jusqu’au 3 novembre - les mercredi, jeudi, vendredi à 19h30 ; le samedi à 15h, le dimanche à 13h30
Mise en scène par Simon Abkarian, mise en musique par le trio Howlin’ Jaws
Avec Maral Abkarian, Chouchane Agoudjian, Anaïs Ancel, Maud Brethenoux, Aurore Frémont, Christina Galstian Agoudjian, Georgia Ives (en alternance), Rafaela Jirkovsky, Nathalie Le Boucher, Nedjma Merahi, Manon Pélissier, Annie Rumani, Catherine Schaub Abkarian, Suzana Thomaz, Frédérique Voruz
Crédit photos : Antoine Agoudjian

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par Claire le lundi 7 octobre 2019
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