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Le 80e Prix Albert Londres décerné à Istanbul à Elise Vincent, du Monde


Le 80e prix Albert Londres a été remis lundi à Istanbul à Elise Vincent, du journal Le Monde, pour une série de reportages sur le jihadisme et la radicalisation en France.

Elise Vincent a été récompensée pour six enquêtes, signées entre juin 2017 et juin 2018, parmi lesquelles « Le Jihad derrière les barreaux », « Génération salafiste » et « Le dossier Logan » sur le terrorisme d’extrême droite.

Le plus prestigieux prix de journalisme francophone, décerné en Turquie en signe de soutien aux journalistes turcs confrontés à une campagne de répression par les autorités, a également consacré Marjolaine Grappe, Christophe Barreyre et Mathieu Cellard dans la catégorie Audiovisuel, pour leur film « Les hommes du dictateur », sur le financement du régime de Corée du Nord, diffusé sur Arte.

Le 2e Prix du Livre a été remporté par Jean-Baptiste Malet pour « L’empire de l’or rouge » (Fayard), une exceptionnelle enquête qui, en décortiquant l’économie du concentré de tomates, démonte et expose les rouages de la mondialisation.

Lors de la remise des prix, qui s’est déroulée dans un restaurant appartenant à l’homme d’affaires et mécène turc Osman Kavala, emprisonné depuis un an, la présidente du jury Albert Londres, Annick Cojean, a tenu à envoyer « un message particulier, dans un pays où les journalistes indépendants sont considérés comme des ennemis à abattre ou à museler ».

« Un film de la pré-sélection consacré à la journaliste maltaise (Daphne Caruana Galizia) assassinée l’an passé nous a profondément émus », a-t-elle dit. « Il est sous-tendu par une initiative que nous aimerions encourager et transformer en défi pour nous tous : celle de ’Forbidden stories’ ».

« Le principe est simple : chaque fois qu’un journaliste est empêché d’écrire une enquête sur laquelle il a commencé de travailler, parce qu’il est menacé, emprisonné ou assassiné, des confrères prennent le relais et continuent son travail », a-t-elle expliqué.

- « Impossible d’arrêter l’information » -

« Le Prix Albert Londres fait sien ce défi d’une solidarité internationale des journalistes et des rédactions. Impossible désormais d’arrêter l’information. Impunité zéro pour les criminels », a-t-elle lancé devant un parterre comprenant de nombreux journalistes turcs. Et d’ajouter : « Le journalisme collaboratif 2.0 offre un nouveau terreau à la liberté d’informer. »

Le jury du prix Albert Londres est composé d’une vingtaine d’anciens lauréats. Mais cette année le lauréat 2017 pour la presse écrite, Samuel Forey, n’a pas été autorisé par les autorités turques à entrer dans le pays. Il fait l’objet d’une interdiction de séjour en Turquie pour y être entré clandestinement, depuis la Syrie.

« Recevoir le prix Albert Londres est une immense joie, mais c’est aussi l’honneur d’un énorme héritage d’excellence », a déclaré à l’AFP Elise Vincent. « J’espère pouvoir contribuer à le transmettre, à fortiori au milieu des bouleversements qui chahutent nos sociétés et notre écosystème médiatique ».

Contactée par téléphone à San Francisco, où elle réside, Marjolaine Grappe s’est déclarée « profondément touchée et honorée ».

Son film, qui a demandé près de quatre ans d’enquête, met en lumière le réseau d’hommes de l’ombre, en Corée du Nord et à l’extérieur, qui permettent, via des trafics en tous genres et l’exploitation de milliers de travailleurs réduit en quasi-esclavage dans plusieurs pays, au régime de Kim Jong Un de s’approvisionner en devises et de financer notamment ses programmes nucléaires et militaires.

« Ce prix met en lumière les témoignages de ceux qui ont accepté de témoigner, et leur donne une autre vie, après la diffusion à la télévision », a-t-elle ajouté. « La recette est de travailler longtemps ses dossiers, puis de laisser parler les gens ».

Pour sa part Jean-Baptiste Malet, dont le livre précédent, « En Amazonie. Infiltré dans le meilleur des mondes », une enquête sur le géant de la distribution Amazon, avait déjà été remarqué par le jury, a raconté à l’AFP que l’idée d’enquêter sur la mondialisation du concentré de tomates lui était venue en voyant « de gros bidons bleus dans la cour de l’usine Cabanon, près de chez moi en Provence, qui venait d’être rachetée par les Chinois ».

« J’ai toujours vu ma grand-mère faire son coulis de tomates elle-même. Le Cabanon m’a refusé tout accès, alors j’ai décidé de remonter la filière, via la Chine, l’Italie et les États-Unis », dit-il. « J’ai découvert l’histoire, compris qu’on pouvait raconter le capitalisme à partir du concentré de tomates »".

Avant de donner lieu à un livre, son enquête avait fait l’objet d’un documentaire, portant le même titre, diffusé en février 2018 sur France 2.

par Stéphane le mardi 23 octobre 2018
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