Cécile Duflot Rubrique

Les Verts, le négationnisme et la Turquie dans l’Europe Le point de vue de Cécile Duflot, Secrétaire nationale des Verts, paru dans le numéro 147 des Nouvelles d’Arménie Magazine


Depuis plus de deux ans, la proposition de loi condamnant le génocide arménien attend dans l’antichambre du Sénat. La reconnaissance du génocide arménien ne se base pas sur des interprétations. Comme la Shoah, elle s’appuie sur des faits précis et incontestables. Les Verts considérent qu’il ne peut y avoir de traitement différencié entre génocides. C’est pour ces raisons que nous soutenons ce texte et que nous souhaitons qu’il soit élargit à l’ensemble des génocides reconnus. Reste que cette longue attente a de quoi surprendre. Elle est malheureusement coutumière quand il s’agit du génocide arménien.

Les Verts ont fait partie des premiers à demander la reconnaissance officielle du génocide arménien. Après une première loi, d’origine parlementaire présentée par André Aschieri et Dominique Voynet, nous avons dû fermement batailler aux côtés d’autres élus, pour que le gouvernement Jospin accepte enfin de porter la loi à l’ordre du jour du Sénat. Les pressions étaient d’autant plus fortes, qu’à la même époque le gouvernement négociait des contrats d’armements avec la Turquie concernant des hélicoptères de combat. Hélicoptères qui servirent ensuite à mater la rébellion kurde... Les Verts français dénonçaient ce cynisme qui consistait à enterrer ses valeurs et principes afin de mieux vendre des armes. Armes qui serviront essentiellement contre un peuple opprimé.

La position des Verts français par rapport au génocide arménien et la lutte pour sa reconnaissance a toujours été dictée par le même principe : le respect des valeurs démocratiques est la meilleure arme pour le droit et le respect des peuples opprimés. La dignité humaine doit rester supérieure aux contrats d’armements. C’est pour cette raison qu’il faut soutenir la démocratisation des Etats. Le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est donc la meilleure chance pour les Kurdes et les Arméniens de faire reconnaître leurs droits et leurs souffrances.

Mais ce processus de reconnaissance, préalable indispensable à une véritable réconciliation ne sera ni simple, ni évident.

Près d’un siècle après les faits, la Turquie refuse toujours de reconnaître le génocide. Pire elle met en œuvre un insupportable négationnisme d’Etat qui doit cesser au plus vite. Mais nous savons bien que les processus de réconciliation sont complexes et douloureux, même dans des démocraties dites avancées. L’Etat français a mis cinquante ans pour reconnaître sa responsabilité dans la déportation des juifs. Elle n’accepte toujours pas de regarder en face les crimes de masses commis en Algérie. De même, et au contraire de la Belgique ou des Etats-unis, notre pays refuse toujours d’admettre qu’il a soutenu au Rwanda un gouvernement génocidaire.

C’est pour ça que nous refusons de le poser comme préalable à l’adhésion de la Turquie dans l’Union. L’adhésion est pour nous un levier pour le respect des Droits de l’Homme. Les critères imposent d’ailleurs à la Turquie d’assurer leur application (respect des minorités, égalité hommes-femmes, liberté d’expression), mais également de mettre un terme à des conflits avec ses voisins (notamment avec Chypre ou l’Arménie). Cetteperspective de l’adhésion a déjà permis un certain nombre de progrès.
Il ne s’agit pas d’oublier et de sacrifier la reconnaissance du génocide arménien au nom d’une realpolitik. Il s’agit de mettre en place en Turquie les conditions pour cette reconnaissance. L’Europe est pour nous la meilleure arme contre le nationalisme turc, afin que la société civile s’approprie enfin ce débat fondamental. Débat qu’empêche le nationalisme négationniste de l’Etat turc.

Nous comprenons l’importance aiguë de cette question pour les descendants d’un peuple massacré. Nous comprenons également l’incompréhension de ces mêmes descendants, quand ils doivent encore lutter contre un négationnisme, près d’un siècle après le génocide. Mais l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est pour nous porteuse d’espoir. Un raidissement et un repli sur elle-même de la Turquie serait la pire des choses.
Le chemin pour la reconnaissance, préalable à une véritable réconciliation sera encore long. Les Verts français, attachés à une Europe de paix, consciente de son Histoire, seront toujours à vos côtés.

par le mercredi 31 décembre 2008
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