François Thual Rubrique

Un danger pour l’Arménie ? Le point de vue de François Thual


En liminaire, je voudrais rappeler mon engagement personnel pour la cause arménienne et mon arménophilie déclarée depuis plus de trente ans pour introduire cet article. En effet, les propos réalistes que je vais tenir, sont nourris par mon affection pour la culture arménienne, le pays Arménie et les Arméniens.
Or, après la libération du Karabakh et des victoires politiques que constitue la reconnaissance par beaucoup de pays du génocide, le XXIe siècle semble s’ouvrir pour l’observateur superficiel comme un siècle de relative tranquillité pour les réalités arméniennes. Or, à mon avis, rien n’est plus erroné que cette approche, un certain nombre de facteurs risquent, dans les décennies à venir, d’affaiblir l’identité arménienne.
Pourquoi dire des choses comme celles-là si l’on se prétend un ami de l’Arménie ? Parce que deux phénomènes insidieux et à évolution lente semblent miner, en ce début de siècle, le monde arménien. Le premier facteur est constitué par l’émigration d’une bonne partie de la population de la République d’Arménie depuis 1990 et sa diasporisation à destination de la Russie, de l’Ukraine, des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie et de l’Europe de l’Ouest. A cet égard, il faut noter que le retour à l’indépendance de l’Arménie n’a pas été accompagné d’un retour massif des Arméniens qui vivaient en dehors de l’Arménie si l’on excepte bien sûr une minorité de « patriotes » rentrés au pays pour s’y fixer et aussi pour aider au développement. A l’inverse de ce qu’a connu l’Etat d’Israël en 1948 où les diasporas juives sont revenues en grand nombre vivre dans ce nouveau pays, la diaspora arménienne n’a qu’assez peu bougé.
Le deuxième facteur d’affaiblissement de la réalité arménienne me paraît constitué par la lente assimilation d’une partie de la diaspora notamment à cause des mariages mixtes. Malgré les efforts des églises, des innombrables associations culturelles, des sociétés de bienfaisance et des partis politiques arméniens, l’arménité s’étiole. Si curieusement la conscience d’être Arménien demeure très forte chez les jeunes générations, la langue, la pratique religieuse et l’endogamie connaissent des reculs importants dans le vécu quotidien de la diaspora arménienne.
En l’an 2005, ce n’est pas le panturquisme qui menace vraiment les Arméniens, c’est la mondialisation économique et culturelle. Comment fixer les populations arméniennes dans la patrie arménienne et comment réduire le taux de dilution des Arméniens dans les pays où ils vivent soit depuis longtemps, soit récemment ? Il me semble qu’il y aurait là comme une sorte de grande cause nationale que pourraient prendre en charge tous les Arméniens qui se sentent toujours concernés par leur origine et leur ascendance arméniennes. Les crises politiques des dernières années du 20e siècle ont fait connaître l’Arménie dans le monde entier ainsi que les combats autour de la reconnaissance du génocide.
Aujourd’hui, le souvenir et la conscience de ce génocide peuvent être métamorphosés en un facteur de dynamisation d’un monde arménien bi-polaire, entre l’Arménie, territoire du Caucase, et les diasporas arméniennes, mais une réalité bi-polaire tournée vers l’avenir au nom du passé et des siècles de souffrance et de maintien d’identité. Le paradoxe ne serait pas le moindre que ce soit dans une relative paix et une relative tranquillité et un relatif bien-être que l’Arménie perde son visage alors qu’elle a survécu à tous les malheurs.
Le martyr arménien, au travers des siècles, a maintenu l’unité des Arméniens malgré leur diversité. L’accès à plus de liberté et à plus de bien-être ne devrait pas entamer les bases de la cohésion des Arméniens. La réponse à ce défi sournois sera le fait de la génération en cours d’accession à la majorité et à celle qui en naîtra bientôt. Gageons qu’ils sauront, comme leurs ancêtres, faire face et qu’ils perpétueront l’âme arménienne pour les siècles des siècles.

par le vendredi 1er juillet 2005
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François Thual est président d’honneur du Cercle Européen Komitas.