Par Haytoug Chamlian Rubrique

Bravo monsieur le Président


Bravo, Monsieur le Président !

Mais de quoi nous plaignons-nous exactement... ?

Tout en notant quand même certains silences ambigus, selon toute apparence, la
quasi-totalité des Arméniens de la Diaspora s’opposeraient à la nouvelle politique
étrangère de la République d’Arménie vis-à-vis de la Turquie.

Les arguments de contestation les plus courants contre ladite politique sont les
suivants, a) il y aurait une distinction fondamentales entre les Arméniens de
l’Arménie actuelle et les Arméniens de la Diaspora ; et b) il y aurait un écart entre
les Arméniens [notamment, ceux de la Diaspora, re : la susdite distinction] et le
gouvernement arménien.

Nonobstant toute notion idéologique, en se limitant seulement aux faits et à la
réalité, il est tout à fait évident que ces deux arguments sont creux, faux et
fallacieux.

S’il y avait une telle distinction entre « Arméniens d’Arménie » et « Arméniens de la
Diaspora », alors, ces derniers auraient dû se mêler de leurs affaires, plutôt que de
plonger à pieds joints - comme cela a été le cas dans plusieurs communautés
arméniennes du monde - dans le mouvement de l’opposition LTP-iste, visant à
renverser le régime actuel en Arménie - mais n’ayant réussi qu’à déstabiliser l’État
arménien, en le jetant ainsi en pâture devant les forces étrangères, fragilisé,
neutralisé, vulnérable, à la merci de la moindre pression ou manipulation - .

Avant que certains croient profiter de ce constat, en faisant valoir que, justement,
il valide l’argument b) indiqué ci-dessus, à savoir, que les gouvernants dirigeants
actuels de la République d’Arménie sont déphasés par rapport au peuple dont ils
dirigent officiellement la destinée, il serait bon de se rappeler que la politique
étrangère suscitant cette analyse s’inscrit pleinement dans le cadre du programme
maintes fois annoncé, déclaré et martelé du même Levon Ter-Petrossian, non seulement
durant son règne passé, mais aussi durant la campagne électorale récente. Ce n’est
qu’à présent qu’il aura changé de disque, au gré de ses caprices de mégalomane,
conjugués aux fluctuations de la démagogie la plus grossière. (Le plus drôle serait
cependant que Sarkissian soit de mèche avec LTP...).

Ainsi, à la lumière de la démonstration ci-dessus, déjà, une bonne partie des
Arméniens de la Diaspora sont très mal venus à présent de se plaindre des nouvelles
relations politiques entre la République d’Arménie et la Turquie.

Hélas, le problème ne se limite pas à cette seule dimension politique, ni au sujet
des dernières élections présidentielles.

Ce que le présent Sarkissian fait à présent se situe exactement et entièrement dans
la logique de ce que beaucoup d’Arméniens, surtout et principalement en Diaspora,
préconisaient, prêchaient, disaient, écrivaient et même faisaient, depuis une bonne
décade.

La mode n’était-elle pas au rapprochement entre Turcs et Arméniens, à la
« compréhension mutuelle (sic) », au dialogue équivoque, à la réconciliation
précipitée, à l’approche douce, sensible et subtile à l’« histoire commune » de ces
deux peuples ? Pour ménager la susceptibilité, la fierté, la dignité des Turcs, leur
donner le temps de « changer de l’intérieur », leur tenir gentiment la main sur la
voie de la prise de conscience, etc., etc.

Tous ceux qui parmi nous, en vertu du principe de combat permanent, étaient en
faveur du maintien de l’activisme traditionnel, ferme et dur, revendicateur, ne
passaient-ils pas pour des fanatiques, des extrémistes, des ultra-je-ne-sais-quoi,
bref, des éléments insupportables et nuisibles ? Ou alors, de pitoyables
nostalgiques...

Nous voilà servis, à présent.

Jouons au duduk en duo et au tavlou à coups de otouzbir, buvons le raki en
fredonnant des chansons turques - disponibles bientôt dans les cafés d’Erevan - ,
faisons du business, les frontières grandes ouvertes (c’est le peuple arménien qui
va en profiter, ah, c’est sûr, pas les hyènes insatiables gravitant autour du
Président...), et allez, ne vous en faites pas, tout cela va s’arranger, dans le
calme, dans la paix et dans la fraternité. Dans le respect mutuel. De manière
courtoise et civilisée. Nous sommes au 21e siècle, après tout. À un moment donné,
il faut bien évoluer.

Et puis... Istanbul. Aaaah, la belle, la superbe, la merveilleuse ville de toutes
les beautés et plaisirs... À ce train, on établira bientôt des navettes tant
aériennes que terrestres, pour qu’aucun Arménien ne soit plus privé de la chance
inouïe d’aller visiter ce lieu magique et sacré, et se promener langoureusement,
baklavas à la main, dans les rues où il paraît qu’il se serait peut-être passé
certaines choses, il y a une centaine d’années... Mais ça, on verra ce que les
commissions d’historiens en diront. Gare aux trouble-fête.

Bref, merci, Monsieur le président. Enfin, enfin, vous avez compris, vous avez
écouté la voix de la raison, de la sagesse, de la modération, de LTP, de ceux qui
commémorent avec les Turcs l’événement-qu’il-ne-faut-plus-nommer, de ceux qui
prennent garde à ne plus utiliser ce méchant terme, ce vilain mot, tellement
offensant pour ces Turcs - lesquels d’ailleurs sont tous des Arméniens, ils l’ont
clamé haut et fort - , etc. etc.

Voilà, vous avez donc réussi, messieurs-dames. Félicitations. C’est vous que nos
dirigeants ont écouté. La Diaspora a sauvé l’Arménie du blocus, certes, mais
surtout, de l’enferment génocidaire.

Le fait est que si la Diaspora ne s’était pas si soudainement ramollie, assoupie,
courbée, agenouillée et couchée, tant Sarkissian que ses maîtres auraient au moins
hésité à nous imposer la capitulation historique actuelle, sans précédent dans notre
histoire nationale contemporaine. Et même s’ils l’auraient quand même fait, nous
aurions eu la force, les moyens et certainement beaucoup plus de crédibilité pour y
résister et pour la contrer.

Ne doutant pas de l’habileté artistique, littéraire et académique de certains des
diasporiques concernés, je présume qu’ils trouveront de jolis sophismes pour
esquiver leur responsabilité dans le fiasco actuel. Après tout, c’est bien ce que
tout le monde est en train de faire, ça aussi, c’est bien dans l’air du temps.
Personne n’est jamais responsable de rien. Ou alors, tout le monde est coupable.

Mais terminons alors avec une démonstration irréfutable.

Si aujourd’hui Hrant Dink avait été vivant, il aurait applaudi à pleines mains, en
sautant de joie, les larmes aux yeux, dans un état typique de jubilation et
d’exubérance, en voyant ce que les Présidents Sarkissian et Erdogan sont en train de
faire. Or, comme tous nos grands visionnaires dénoncés dans ce texte sont aussi des
fanas de Dink, ils devraient veiller à respecter sa sainte mémoire, en applaudissant
eux aussi chaudement Sarkissian.

Par contre, toujours en référence au même feu Hrant Dink, même si en tout cas les
dégâts sont énormes, il reste encore un espoir pour que tous ces projets de
documents soient brusquement déchirés, et que nous évitions ainsi cet épilogue
ultime de la Catastrophe (ou alors, ce nouveau « 1915 », qu’on appellera « 2009 »,
tiens...).

Ce seul espoir, ce sont les Turcs.

Me Haytoug Chamlian, Montréal

par le mercredi 2 septembre 2009
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