René Dzagoyan Rubrique

Discours pour le dîner du CCAF


Discours pour le dîner du CCAF
Le 29 janvier 2011
Pour le 10e anniversaire de la loi sur la reconnaissance du Génocide par la France

Pour commencer, permettrez-moi de remplacer les salutations protocolaires, par les simples mots de « chers amis », car ce qui explique notre présence ici, ensemble, c’est avant tout les liens d’amitié, voire de fraternité, que l’histoire et l’action ont tissés entre nous. C’est aussi cette fraternité et cette amitié qui m’autorisent aujourd’hui de vous parler franchement de ce qui me tient à cœur, au risque d’abuser de votre patience.

D’abord, je n’aurais pas accepté l’honneur que vous me faites si je n’avais pas été persuadé qu’en réalité, cet honneur, vous le rendez à vous-mêmes. Et quand je dis « vous-mêmes », j’entends, bien sûr, le CCAF et la communauté arménienne qu’il représente, mais aussi nos amis élus, qui l’ont été et qui le sont encore, qui ont porté et qui portent encore notre voix au Parlement et au plus haut niveau de l’Etat.

Si on célèbre aujourd’hui à Marseille, le 10e anniversaire de la loi sur la reconnaissance du Génocide par la France, c’est bien parce qu’ici que se trouvent les Parlementaires qui l’ont promue au Palais Bourbon et qui l’ont votée au Sénat. S’il avait été là, monsieur le sénateur-maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin aurait pu en témoingner.

De même, c’est à Marseille qu’en décembre 2005, en coordination avec le CCAF et son président d’alors, Pascal Chamassian, cinq élus des Bouches-du-Rhône, Roland Blum, Robert Bret, Richard Mallié, et Jean-François Picheral, avec Christophe Masse pour rapporteur, ont rédigé la loi sur le négationnisme, l’ont défendue auprès de leur collègues et, après bien des vicissitudes, ont réussi à la faire voter à l’Assemblée. Cette loi est donc le résultat de votre action. Aussi l’honneur de cette soirée, mesdames et messieurs, vous revient-il entièrement, de même que vous revient entièrement le devoir et l’honneur d’achever l’œuvre que vous avez commencée.

Nous avions bon espoir qu’elle serait achevée après l’élection présidentielle. En effet, lors de sa campagne, le candidat Sarkozy, à deux reprises, solennellement et par écrit, s’était engagé à favoriser l’examen de cette loi par la Haute Assemblée, en dénonçant violemment le négationnisme. Pourtant, malgré les efforts répétés de certains sénateurs, notamment Jean-Noël Guérini, à notre grande surprise, cette loi est restée bloquée au Sénat.

Cette première surprise a été suivie de deux autres. On nous avait promis un durcissement de la position française sur l’adhésion de la Turquie en Europe. Et voilà que le référendum obligatoire sur cette adhésion est supprimé de la Constitution. Dans la foulée, la France donne son accord pour étendre les négociations turco-européennes à 31 chapitres sur 35.

Parmi toutes les raisons qu’on pourrait invoquer pour expliquer cet incroyable revirement, la principale est sans doute la préservation des bonnes relations diplomatiques et économiques de la France avec l’Etat turc. C’est en tout cas cette raison qu’évoquent les dépêches du département d’Etat américain qui révèle que Jean-David Levitte, conseiller diplomatique auprès de la présidence, dès le 27 mai 2007, assurait au gouvernement Erdogan, au nom du Président fraîchement élu, que cette loi mourrait au Sénat. On nous avait dit que le blocage de cette loi se fondait sur le respect des valeurs de la République, on sait maintenant qu’il fait partie d’un système de concessions.

Des concessions de ce genre, la France n’est pas la seule à en faire. Israël a passé l’éponge sur l’humiliation infligée à Shimon Peres par Erdogan à Davos ; l’OTAN s’est tue quand son secrétaire général a été traîné dans la boue par les autorités turques ; les Etats-Unis ont plié le genou quand la Turquie a décidé de livrer de l’uranium à l’Iran ; l’Europe cède encore et toujours en acceptant, de négocier avec un pays qui refuse de reconnaître un de ses Etats membres. Arrêtons-nous là, car la liste des concessions est infinie. Le blocage de la loi au Sénat n’en est qu’une parmi d’autres dans ce concert international de renoncements.

Pourquoi tant de concessions ? On nous l’a dit cent fois. Répétons-le : il s’agit d’ancrer la Turquie dans le camp occidental, d’en faire un modèle de démocratie pour le monde musulman, de la détourner de la tentation islamiste, de préserver son alliance avec Israël et la paix au Moyen-Orient. Certes, mais après tant d’années, quel est le résultat de tant de capitulations successives et d’humiliations répétées ?

Loin de se rapprocher de l’Europe, la Turquie consolide chaque jour d’avantage son alliance avec l’Iran. Loin de défendre Israël, elle envoie ses bateaux et ses armes soutenir le Hamas. Loin de collaborer pleinement aux manœuvres de l’OTAN, elle en exclut les forces grecques et israéliennes. Loin enfin de ratifier les protocoles de paix qu’elle avait signés avec l’Arménie, la Turquie a renié sa signature, a maintenu son blocus et intensifié ses menaces. Loin de se conformer aux souhaits de l’Europe, elle interdit l’entrée de ses ports aux navires chypriotes, tout en ignorant superbement et sciemment ses obligations en matière de Droit de l’Homme.

Ainsi, par exemple, de 2005 à 2008, la Cour européenne des Droits de l’Homme a prononcé 1158 condamnations à l’encontre de la Turquie. En 2010, 655 personnes, dont 197 journalistes, ont été condamnées au cours des neuf premiers mois pour délit d’opinion. Parmi eux, n’oublions pas notre Hrant Dink, dont nous célébrons ce mois-ci le 4e anniversaire de la mort, assassiné avec la complicité de la police turque.

Tel est, en bref, le bilan d’une décennie de concessions consenties à la Turquie et d’humiliations humblement supportées au nom de la paix.

L’histoire, pourtant, nous a appris où menaient des concessions de ce genre. Il n’y a guère plus d’un demi-siècle, à leur retour de Munich, brandissant un accord signé par l’Allemagne nazie, après avoir tout concédé à un pays tiers, Chamberlain et Daladier ont cru qu’ils avaient préservé la paix. Comme le disait Churchill, ils avaient à choisir entre la guerre et le déshonneur ; ils ont choisi le déshonneur et ils ont eu la guerre. On connaît la suite. Soixante ans après, ceux qui nous gouvernent, à leur tour, concèdent tout à la Turquie, au nom de cette même paix.

Nous, les Français d’origine arménienne, savons ce que vaut un engagement signé par l’Etat turc, et beaucoup de Français le savent aussi. L’histoire nous a enseigné qu’à tout concéder, l’on n’obtient rien d’autre que ce que l’on redoute. Nous ne savons pas si nous aurons la guerre, mais nous savons déjà que l’on s’engage vers le déshonneur.

Lors de sa dernière conférence de presse, le président Sarkozy le disait d’ailleurs en termes éloquents : « Commençons à mettre un genou à terre, et l’on ne s’inclinera jamais assez... Commençons à composer avec ces gens, et on ne composera jamais assez...Chaque fois que les démocraties se sont aplaties, elles l’ont payé très cher. »

Oui, la France le paie par la perte de son âme. Car nous savons que renoncer aux principes qui ont fondé notre république, entraver le fonctionnement de nos institutions, renier des engagements solennels envers des citoyens français, n’empêchera pas l’Etat turc d’être l’Etat turc, mais empêchera la France d’être la France.

Si, aujourd’hui, nous, les Français, d’origine arménienne, demandons à nos sénateurs de voter cette loi au sein de la Haute Assemblée, ce n’est plus seulement parce que cette loi nous protège contre les manœuvres et la propagande insultantes et pernicieuses de la Turquie sur le territoire français, mais c’est aussi parce que ne pas voter cette loi, entraînera la France vers le renoncement à ce qui a fait sa grandeur et sa raison d’être, à savoir l’indépendance de sa politique, la défense de ses valeurs et la protection de ses citoyens.

Devant un pays militairement surpuissant, face à des intérêts économiques écrasants, et une diplomatie qui a visiblement choisi le parti de la faiblesse, nous, les Français, de quelque origine que ce soit, avons encore l’espoir, et voulons, que la France reste la France. Et cette espérance, cette volonté, mesdames et messieurs, particulièrement vous, les élus du peuple français, dépositaires de la République, c’est vous qui les portez. C’est pourquoi il vous revient, par le vote de cette loi sur la négation du Génocide, que vous acheviez l’œuvre que vous avez commencée et qu’ainsi, grâce à vous, la France conserve sa place dans le monde, son indépendance et sa dignité.

Aujourd’hui, voter cette loi et la faire voter est votre devoir, demain ce sera votre honneur.

Je vous remercie.

Le 28 janvier 2011 à Marseille.

René Dzagoyan

AUTHOR René Dzagoyan Page PAGE 3 DATE @ “dd/MM/yyyy“ 29/01/2011

par le dimanche 30 janvier 2011
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