KRIKOR AMIRZAYAN Rubrique

L’Arménie a été le premier Etat chrétien au monde…ça intéresse le monde à part les Arméniens ?


L’Arménie a été en l’an 301 ou 311, le premier Etat au monde à reconnaitre le christianisme comme religion officielle, quelques années avant Rome qui l’effectuait en l’an 313 par le célèbre Édit de Milan. Mais alors que cet Édit de Milan reconnaissant le christianisme dans l’Empire romain est largement connu, la christianisation de l’Arménie reste presque confidentielle et n’est connu que de cercles limités d’historiens et d’un public restreint…en dehors des Arméniens !

Des Arméniens qui utilisent et brandissent comme un étendard, la christianisation de l’Arménie en tant que premier État chrétien au monde, alors que ce monde chrétien a largement disparu dans la pratique et les consciences des peuples. Pire, afficher une chrétienté est souvent aujourd’hui contre-productif, avec ses effets contraires dans un monde tourné vers la mondialisation. Les Arméniens à contre-temps, risquent ainsi de passer pour des « Croisés » tant par les pays jadis chrétiens que le monde musulman.

Les Arméniens sont-ils encore à contre-courant de l’Histoire et surtout du monde actuel dominé par l’uniformisation et l’anéantissement des valeurs traditionnelles ? On peut raisonnablement le penser, au regard du peu d’effet provoqué par notre devise d’être les héritiers du « Premier État chrétien au monde ». Car ce « monde chrétien » imaginé et peut-être imaginaire dans l’esprit des Arméniens, n’a plus que des contours flous. L’époque a changé. Les siècles des cathédrales en Europe ont laissé place dans les Républiques teintées de multiculturalisme, la pratique de la religion étant laissée à l’Histoire ou à la bonne volonté de chacun.

Au-delà de ces valeurs -celui d’appartenance au monde chrétien- que les Arméniens désirent véhiculer, sur le terrain étranger, ces valeurs n’ont aucun poids face aux intérêts des pays étrangers qui se nourrissent davantage de la pratique du Realpolitik que de la solidarité religieuse ou des valeurs communes. Les alliances s’effectuant souvent aux antipodes du partage des valeurs communes, seul l’intérêt économique ou politique prenant le pas sur le reste.

Mais au-delà un message sourd du « Premier État chrétien au monde », les Arméniens sont-ils parvenus à la médiatisation internationale de leurs valeurs culturelles, de leur langue, de leur culture, de leurs khatchkars, églises et manuscrits ? Force est de constater également que sur ces éléments, les Arméniens ont échoué ! Peuple d’un très riche passé et d’une culture très forte, les Arméniens n’ont pas réussi à médiatiser cette richesse à la connaissance du monde. Ce patrimoine arménien reste encore confidentiel auprès de larges publics de la planète. Très peu de personnes -en dehors des Arméniens- savent que les Arméniens utilisent un alphabet propre à leur nation, quant à la langue arménienne, ils ne l’ont presque jamais écouté. Si les khatchkars, placés dans certaines villes de France ou d’autres pays d’Europe et d’Amérique évoquent l’Arménie pour quelques milliers de personnes, pour la grande masse de la population de ces pays, les khatchkars n’évoquent rien de précis.

Mais la diffusion d’une culture vers d’autres cultures est surtout mesurable à travers leur capacité à diffuser leur propres mots ou noms dans le langage des autres cultures. Ainsi, les mots du latin, l’anglais, le chinois, l’arabe, l’hébreu ou même le turc sont présents dans les mots en France ou dans d’autres pays depuis parfois plusieurs centaines d’années.

Cette force de diffusion est également mesurable aujourd’hui où par exemple, au-delà de nombreux termes anglais qui viennent dans le vocabulaire des Français, les mots arabes sont également très actifs, tout comme les mots d’hébreux. Israël et les médias de la planète ont réussi par exemple à introduite le terme Shoah pour désigner le génocide dont furent victimes les Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale ainsi que le terme Tsahal pour désigner l’armée israélienne.

Quel terme arménien, les Arméniens, porteurs d’une riche et ancienne civilisation sont parvenus à faire intégrer dans le vocabulaire français ? Aucun. Malheureusement. Le nom même de Papier d’Arménie, connu par la majeure partie des Français ne vient pas des Arméniens…

Pourquoi la culture arménienne n’imprègne-t-elle pas la culture mondiale ? Peut-être à cause de notre incompétence à médiatiser ou à exprimer des mots arméniens dans notre vie de tous les jours en diaspora. Ce que les Arabes, les Juifs ou d’autres peuples sont arrivés, aidés par les médias.

Et la question cruelle : qui s’intéresse aujourd’hui aux Arméniens à part quelques intellectuels et journalistes ?
Le constat amer est pourtant la réalité. Notre culture si riche, se développe et se porte en circuit fermé et de façon confidentielle, presque dans l’intimité. Alors que la diaspora s’intègre progressivement dans les pays d’accueil, la langue arménienne poursuivra la même tendance. Gageons que les citoyens de la République d’Arménie, porteurs d’une identité forte, puissent prendre le flambeau et faire découvrir au monde, l’Arménie, la richesse du patrimoine arménien et introduire des mots arméniens dans le vocabulaire des pays étrangers, des mots qui sont le signe de la vitalité et de la communication plus large d’une culture.

Krikor Amirzayan

par Krikor Amirzayan le mercredi 13 décembre 2023
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